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Exploitation de la bauxite à Boké : un crime presque parfait… (Par Akoumba Diallo)

Les actionnaires de la Société minière de Boké ont-ils bénéficié des faveurs de la présidence de la République, pour s’assurer des droits miniers exclusifs sur les bauxites de Batafong dans la préfecture de Boké? Tout porte à croire que les « omissions » constatées dans le décret d’octroi du permis d’exploitation minière auraient été motivées par des intérêts qui restent à élucider.

Le mois d’avril 2019 a été important dans la filière de la bauxite. A cette époque, la Chine a établi un niveau record d’importation mensuelle de 9,8 millions de tonnes sur une capacité annuelle de 117 millions de tonnes (point sur le marché de la bauxite Chine, CM-mai 2019).

En avril les stocks de bauxite importés par la Chine sont passés à 50 millions de tonnes, les importateurs ayant profité de la baisse des taux de fret pour constituer des stocks en prévision des perturbations que la réglementation OM-2020 et les élections en Guinée pourraient entraîner en 2020.

SMB-Winning consortium prévoit une augmentation des exportations de la bauxite depuis la Guinée, en 2019, à plus de 40 millions de tonnes. Début mai, Rigel, d’une capacité  de 300 000 tonnes de minerai est arrivé dans le port de Yantai en Chine. Ce port confirme ainsi sa position de plaque tournante assurant le débarquement de la bauxite.

Depuis juillet 2015, la société minière de Boké (SMB) exploite les bauxites de Batafong, dans une situation de confusion, au regard des normes de gouvernance des industries extractives et du code minier guinéen en vigueur. Cette exploitation porte sur un scénario de base approuvé par l’étude de faisabilité de juin 2015, d’une production de 5 millions tonnes par an extensible à 10 millions tonnes par an. Pourtant, à présent l’on parle d’une production annuelle de plus de 40 millions de tonnes.

La SMB est la joint-venture entre la société chinoise Winning Alliance Port (WAP) et la guinéenne United Mining Supply (UMS). La SMB a réalisé toutes ses activités sous l’ombre de la présidence de la République. Même certaines de ses œuvres sociales dans la région administrative de Boké portent la marque de la présidence de la République.

M.Fadi Wazni (passeport français n°13DD22366) est le président du conseil d’administration de la société minière de Boké (RCCM/GC-KAL/ 055.689A/ 2014 tel que modifié par la formalité RCCM/GC-KAL-M/0064.977/2015). Mais aussi administrateur fondateur de la société alliance mining commodities (AMC) détentrice des droits d’exploitation des bauxites de Koumbia dans la préfecture de Gaoual.

En mars 2015, la cérémonie de lancement des travaux de construction du projet SMB avait été présidée par le Chef de l’État guinéen, Alpha Condé. En juillet 2015, Alpha Condé avait aussi marqué de sa présence les cérémonies de mise en exploitation de la mine de bauxite de Batafong et de chargement du premier bateau, le 20 juillet 2015, à Katougouma.

Selon les statuts de la SMB du 7 avril 2015, durant toute la première année d’exploitation, la Guinée n’avait pas exercé son droit d’actionnariat, valable jusqu’à 15% (article 150-I du code minier). L’actionnaire unique (1400 actions) étant Asian African Mineral and Logistics Consortium (AAMLC) Ltd. Le certificat d’enregistrement du notaire JW Smith (basé à Monaco) de cet actionnaire unique est enregistré aux iles Seychelles connu comme paradis fiscal.

Il faudra attendre, la déclaration modificative au registre du 27 octobre 2016, pour voir la sortie brusque de AAMLC qui a cédé la totalité des 1400  actions dont 140 actions numérotées de 1261 à 1400 à l’État guinéen (RCCM/GC-KAL-M2/077.610/2016).

L’un des promoteurs de la SMB, Fadi Wazni, soi-même directeur général de UMS (RCCM/GC-KAL/ 02975A/ 2004) est connu pour être proche du président Alpha Condé et ami à Condé-fils (Mohamed Alpha Condé). Ils sont nombreux parmi les membres de la chambre des mines de Guinée dont Wazni était membre du bureau exécutif et trésorier, à faire un lien entre le succès de la SMB et la proximité de Fadi Wazni à Condé-fils.

D’ailleurs, le 2 décembre 2014, Fadi Wazni a gratifié à un certain M Condé  par le biais du compte n° 10000308086-14 de UMS ouvert dans les livres de la société de banques en Guinée (SGBG). Une carte Visa Business (avec mention express) au bénéfice de ce M Condé, décrit comme responsable projet à UMS. A la même date, M.Fadi Wazni avait souscrit pour lui-même à une UMS carte visa en mentionnant toute son identité (Fadi Wazni, directeur général).

Le 11 décembre 2014, soit 9 jours plus tard, la société minière de Boké a introduit auprès du ministère des mines et de la géologie une demande de permis de recherche minière. Le 31 décembre 2014, la société UMS a approvisionné la carte visa de M Condé à hauteur de 100 millions de francs guinéens.

Le 19 janvier 2015, le ministre des mines et de la géologie M.Kerfalla Yansané a signé l’arrêté numéro A2015/ 018/MMG/SGG portant octroi d’un permis de recherche minière à la société minière de Boké (SMB) SARL. A cette période, le cadastre minier guinéen était en phase de toilettage et de modernisation donc l’octroi d’un tel droit paraissait comme un privilège. D’ailleurs, ce permis est inscrit dans le registre des titres ouvert à cet effet à la division informations géologiques et minières du centre de promotion et de développement minier (CPDM) sous le numéro 001/ DIGM/ CPDM.

Ce permis de recherches minières d’une durée de 3 ans renouvelable couvre une superficie de 305 km2 sur les feuilles de Kandiafara (NC-28-XXI) et Boffa (NC-28-VI).

Le 18 juin 2015, la SMB a soumis au gouvernement une demande de permis d’exploitation minière semi-industrielle.

Le 7 juillet 2015, le président Alpha Condé, en lieu et place de l’objet demandé, a offert à la SMB le décret numéro D2015/135/PRG/SGG portant octroi d’un permis d’exploitation minière industrielle. Sur la base d’une étude de faisabilité de juin 2015 (SMB Mining Study) réalisée par la société Camen Resources SARL sous la direction de Rick Stroud.

Pourtant, à cette date, la demande de la SMB semblait irrégulière vis-à-vis des articles 30-I et 30-II du code minier qui stipulent la nature de l’acte, les modalités et les personnes pouvant bénéficier du permis d’exploitation. Le permis d’exploitation est accordé par décret pris en conseil des ministres sur proposition du ministre en charge des mines, après avis favorable de la commission nationale des mines. Notre enquête n’a pu trouver l’avis favorable de la commission nationale des mines qui n’existait d’ailleurs pas.

Ce permis d’exploitation (numéro A 2015/034/ DIGN/ CPDM) a reconduit la superficie 305 Km2, donc sans plan de rétrocession exigé à l’article 30-II. Ce permis d’exploitation en son article 7 démontre largement l’illégalité en recommandant «que conformément aux dispositions de l’article 142 du code minier l’entreprise à l’obligation de mener des actions devant permettre la réalisation et la certification de l’étude d’impact environnemental et social, au plus tard dans un délai de 12 mois à compter de la signature dudit permis». Inutile de préciser que cette étude environnementale et sociale est un élément fondamental de la composition et modalité d’examen du dossier constitutif de la demande d’attribution du permis d’exploitation (article 30-I).

Le décret du président Condé a aussi omis d’invoquer l’article 150-I du code minier qui régule «le pourcentage et modalités de la participation de l’État dans le capital de la société bénéficiaire du permis d’exploitation».

Le décret d’octroi du permis d’exploitation a aussi, omis d’invoquer les dispositions de l’article 163 portant sur la taxe à l’exportation imposable à la SMB. L’on sait que celle-ci est de 0,075% LME (London Metal exchange) pour une substance comme la bauxite.

Le projet de construction du port de Katougouma a commencé en novembre 2014. Sa capacité est prévue pour traiter 10 millions de tonnes par an dans la première étape, à la fin de 2015 et cette capacité devrait atteindre les 20 millions et 30 millions de tonnes par an en 2017.

Au sens de l’article 130 du code minier, la SMB devait contracter avec les communautés riveraines, une convention pour le développement local, mais en lieu et place, le 11 avril 2016, le ministre d’État à la présidence de la République chargé des partenariats public-privé, Ibrahima Kassory Fofana, à la tête d’une délégation gouvernementale, a opposé de la menace aux citoyens de Boké.

Depuis le 20 juillet 2015, date du premier chargement des premières tonnes de bauxites au port fluvial de Katougouma, jusqu’à ce dimanche 6 mai 2016, la SMB a connu 24 mouvements de grève.

 

Conakry, le 7 octobre 2019

 

Akoumba Diallo

akoumba2000@yahoo.fr

Journaliste

Analyste au cabinet Mineral Merit SARL

Ancien membre de l’ITIE-Guinée

 

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