Accusé par une opposition bien en mal de présenter la moindre preuve l’incriminant, le frère du président, Aliou Sall, a démissionné de ses fonctions. Le signe que notre justice fonctionne et qu’au Sénégal il n’existe aucun passe-droit. Ne laissons pas des rumeurs non étayées nous détourner de notre combat pour un Sénégal plus fort, plus uni, plus juste.
A quoi juge-t-on de la valeur d’une démocratie ? Sans doute, parmi bien d’autres critères, à ce qu’aucun citoyen n’échappe à sa justice. Pas même le propre frère du chef de l’Etat, puisque c’est bien du Sénégal dont ici il s’agit ; Sénégal qui est, depuis un mois maintenant, bien malgré lui le théâtre d’une ténébreuse affaire, révélée le 3 juin dernier par un reportage de BBC. Contrats mirobolants, corruption, népotisme, pots-de-vin. Face aux accusations pleuvant sur ses dirigeants, le pays est en émoi et les Sénégalais s’interrogent, tout à fait légitimement, sur le degré de responsabilité de ceux qu’ils ont élus, précisément, sur la promesse d’une rupture avec ces pratiques d’un autre temps. Ils attendent des réponses. Ils ont soif de justice. Comment leur donner tort ?
Les faits, rien que les faits
Les faits, tout d’abord : en juin 2012, peu après son élection à la tête du pays, le président Macky Sall confirme l’attribution de deux champs pétroliers et gaziers d’envergure à la compagnie Petrotim, propriété de l’homme d’affaires Franck Timis. Une décision prise par son prédécesseur direct, l’ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade. Il s’agit donc, quand le contrat arrive sur le bureau de Macky Sall, d’assurer la continuité de l’Etat, ainsi que d’assumer sa responsabilité contractuelle envers une entreprise privée. Ni plus, ni moins. Quatre ans plus tard, en 2016, Petrotim cédera ces champs au géant britannique BP.
Selon le reportage diffusé par BBC dans lequel apparaissent fort opportunément plusieurs membres de l’opposition -au premier rang desquels Mamadou Lamine Diallo et l’ancien Premier ministre du président Sall, Abdoul Mbaye- Aliou Sall, le frère du président, aurait reçu en échange de l’attribution des concessions d’hydrocarbures une prime conséquente de l’entreprise de M. Timis, ainsi qu’un poste grassement rémunéré au sein de Petrotim. L’intéressé, comme c’est son droit le plus strict, dément. Sous d’autres cieux et dans d’autres circonstances, l’affaire en serait restée là. Enterrée. Oubliée. Retournée, sans doute, contre ceux-là mêmes qui l’ont éventée, ONG et lanceurs d’alerte compris. Mais pas au Sénégal. Pas au Sénégal présidé par Macky Sall.
La justice suit son cours ; faut-il s’en étonner ?
Lundi 24 juin, Aliou Sall a formellement annoncé sa démission de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’institution financière qu’il dirigeait depuis septembre 2017. Dénonçant une «malheureuse controverse» bâtie sur «un tissu d’amalgames et de contre-vérités destinés à alimenter une autre campagne, plus insidieuse celle-là, qui va au-delà de [sa] modeste personne». Quoique l’on pense de la ligne de défense de M. Sall, selon laquelle c’est bien son frère -et donc l’Etat sénégalais- qui est visé par cette affaire, il convient de s’arrêter sur cette décision. De la saluer, même, tant il n’est pas si fréquent qu’un dirigeant, en Afrique comme ailleurs, accepte de lui-même de se mettre en retrait de ses responsabilités et, librement, à la disposition de la justice de son pays.
Car au Sénégal, la justice suit son cours, sereinement. Et c’est sans doute là, paradoxalement, toute la leçon que nous sommes, à l’heure actuelle et avec les informations dont le peuple sénégalais dispose, en droit de tirer. Ni plus ni moins, encore une fois. A la demande expresse du président Sall, le ministère de la Justice a, en effet, saisi le procureur général de la cour d’appel de Dakar afin d’ouvrir «une enquête complète» sur les allégations portées par les journalistes de BBC et leurs «témoins». Témoins dont on attend encore, par ailleurs, qu’ils présentent le début d’une preuve de ce qu’ils avancent au cours de ce reportage monté, soit dit en passant, exclusivement à charge. Si promptes à répondre aux sollicitations médiatiques, les figures de l’opposition susnommées brillent par leur absence dans le théâtre judiciaire. Qu’ont-elles à dissimuler aux Sénégalais, si ce n’est la probable vacuité de leurs accusations ?
Ne nous laissons pas détourner de notre chemin
En somme, le Sénégal est en 2019 un pays où le propre frère du chef de l’Etat se met en retrait de la vie publique afin de favoriser l’enquête le concernant, démontrant par ce geste qu’il n’est, en rien, protégé ; qu’il est un justiciable comme un autre ; qu’il fait confiance à la justice de son pays. Le Sénégal est en 2019 un pays dont le président lui-même a demandé à l’entreprise incriminée -BP, pour ne pas la nommer- de faire toute la lumière sur une affaire concernant un membre de sa famille ; BP dont les dirigeants ont fermement démenti avoir accédé aux délirantes requêtes financières de M. Timis. Le Sénégal est en 2019 un pays qui fait du combat contre la corruption sa priorité, avec la création, voulue et promise lors de sa campagne par Macky Sall, de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), dont le premier rapport, remis en 2016, a conduit à un vaste coup de balai dans l’administration.
Alors certes, le Sénégal de 2019 n’est sans doute pas parfait. Notre pays a encore un long chemin devant lui pour se développer, assurer à chacune et chacun d’entre nous les conditions de son avenir, renforcer sa cohésion nationale, lutter contre toutes les inégalités, tous les passe-droits. Mais aucune tentative de déstabilisation ne doit le détourner de sa voie.
Par Abdoul Aziz Mbaye, ancien ministre sénégalais de la Culture et
ancien directeur de cabinet du président Macky Sall
Diplomate et homme politique franco-sénégalais