Tribune. Lors de la présentation de la cérémonie des vœux présidentiels de fin de l’année 2019, le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé un projet de révision constitutionnelle prévoyant la possibilité au président de la République de se présenter à un troisième mandat. Cette manœuvre peut-elle permettre une consolidation des réformes en cours en Côte d’Ivoire ?
Cette annonce a provoqué un émoi dans la classe politique de la Côte d’Ivoire : par exemple chez l’ancien allié de Ouattara, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président Henri Konan Bédié qui parle de « tripatouillage ». Ou encore chez l’ancien chef rebelle Guillaume Soro, ancien seigneur de guerre accusé de «massacres» par certaines associations, et probable candidat à l’élection présidentielle, qui la juge« inacceptable ».
La possibilité de réduire le mandat présidentiel a pris ses sources sur le modèle américain avec le XXII amendement adopté par le Congrès le 21 mars 1947.
Consécutivement aux quatre mandats du président Théodore Roosevelt (1932, 1936, 1940, 1944), le Congrès américain avait décidé de réduire la possibilité de se représenter à plus de deux mandats.
A circonstances exceptionnelles, longévité exceptionnelle
Pourtant, le président Théodore Roosevelt avait été réélu à chaque fois de manière démocratique. Au début de son premier mandat, il avait eu l’énorme tâche de redynamiser par sa politique du New deal l’économie américaine frappée par la crise de 1929. A partir de son troisième mandat, il eut l’immense responsabilité de l’entrée dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale. Il n’eut pas le temps de terminer son quatrième mandat puisqu’il décéda en 1945, juste avant la victoire pour laquelle il avait œuvré de manière éclatante.
Car ce n’est pas toujours la limitation du mandat d’un chef d’Etat ou sa prolongation qui doit être toujours au centre des préoccupations, mais plutôt le rôle stabilisateur que joue un dirigeant à un moment donné et dans un contexte historique précis.
La constitution ivoirienne actuelle fut élaborée en 2016dans un souci d’apaisement, soit cinq ans à peine après une guerre civile qui a déchiré le pays et qui a fait plus de 3000 morts. C’est pourquoi la constitution veut tenir compte de la « diversité ethnique, culturelle et religieuse», et appelle à « construire une Nation pluriethnique et pluriraciale fondée sur les principes de la souveraineté nationale ».
Cette constitution réaffirme le pouvoir présidentiel, introduit un Sénat et prépare la succession en créant un poste de vice-président, élu au suffrage universel, selon son article 55. Mais en l’état, elle ne prévoit que deux mandats pour le président de la République de la Côte d’Ivoire. En 2015, Alassane Ouattara est réélu à son deuxième mandat. La constitution actuelle ne lui permet donc pas de se représenter.
Conformément à ce qu’il avait annoncé, le président Alassane Ouattara devrait présenter cette proposition de révision constitutionnelle au mois de mars, mais plus vraisemblablement au mois d’avril, alors que l’élection présidentielle est prévue pour le mois d’octobre 2020.
Quand la manœuvre politique va dans le sens de l’intérêt général
La procédure de révision constitutionnelle quant à elle est encadrée par l’article 177. Soit elle est proposée par voie référendaire à la majorité des voix exprimées ou soit par voie parlementaire, selon le choix du président de la République. Le projet doit obtenir la majorité des deux tiers des membres du Congrès effectivement en fonction.
Cette proposition de modification constitutionnelle à l’ouverture d’un troisième mandat n’est pas sans calcul politique. Il faut toutefois rappeler encore une fois que la Côte d’Ivoire a vécu une guerre civile qui a laissé des traces, entre les partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo (arrêté en 2011 par les forces militaires françaises, puis déféré devant la Cour pénale internationale pour une mise en accusation pour crimes contre l’humanité) et ceux du président actuel.
Aujourd’hui, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ancien chef des jeunes patriotes ivoiriens, sont toujours en Europe, soumis au régime de la liberté conditionnelle, et pourraient retourner au pays. Le président Ouattara se veut rassurant, en affirmant ne pénaliser personne et entretenir des liens amicaux avec tous ses adversaires politiques : Laurent Gbagbo, mais aussi Henri Konan Bédié, âgé de 86 ans, qui pourrait également être candidat à l’élection présidentielle.
Alassane Ouattara à l’heure du bilan
Concernant la politique du président Ouattara, elle est ouverte à de profondes réformes économiques : il a récemment décidé une réforme financière de poids avec la sortie du franc CFA, après concertation avec le président français Emmanuel Macron. Une rupture symbolique, et nécessaire en 2020, avec le passé colonial de l’Afrique de l’Ouest. Huit pays vont adopter une nouvelle devise qui sera baptisée l’éco, noyau dur de la future devise de la CEDEAO. Parallèlement, de récentes études constatent en Côte d’Ivoire une « amélioration du climat des affaires et de la gouvernance » et le « renforcement de la stabilité politique » du pays. Enfin, le taux de scolarisation des enfants a atteint 91,3 %, contre 72,6 % en 2011.
Ce projet de réforme constitutionnelle participerait à consolider à la fois la réconciliation nationale, les réformes en cours, le développement économique et une démocratisation du pays à travers un (très probable) dernier mandat d’Alassane Ouattara. Ce nouvel élan économique et démocratique semble être à l’avantage de la Côte d’Ivoire. Le projet constitutionnel devra soit passer par l’approbation du peuple par la voie référendaire à la majorité des voix exprimées- ce qui serait la voie la plus loyale- soit par la voie parlementaire du Congrès, à la majorité des deux tiers, qui reste dans son ensemble favorable au président, et à la stabilisation du pays.
Par Philippe de Veulle, avocat au barreau de Paris, également chargé d’enseignement en droit constitutionnel à l’université de Paris V Malakoff