Tribune. Mea culpa ! Cadre ou intellectuel, on ne doit pas être fière d’un titre qu’on n’incarne pas. Les cadres et intellectuels guinéens sont face à une grande responsabilité morale et historique.
Qu’ils soient administratifs, techniques, religieux, journalistes, opérateurs économiques, hommes d’affaires ou autres, ils font preuve d’une incompréhensible apathie face au drame qui se joue actuellement dans le pays.
Leur attitude est pour le moins atypique en comparaison de celle de leurs homologues d’autres pays environnants.
Les cadres sont pourtant la catégorie sociale la plus redevable au peuple. Chacun au niveau où il se trouve placé, au statut où il est hissé, doit sa situation aux pauvres populations dont le sacrifice, en termes de sang versé, de sueur tirée, d’impôts consentis, a contribué à sa formation, ses soins médicaux, bref son entretien de façon générale.
A ce titre, chacun devrait se préoccuper de son rapport à la mère nourricière, quant au traitement réservé à celle-ci par le pouvoir ; et aussi à la manière de rétribuer ne serait-ce qu’une infime partie de l’immense investissement en lui effectué.
Paradoxalement, les cadres guinéens semblent se satisfaire de la façon dont la Guinée est gouvernée. Ils sont comme consentants que le pays soit pris en otage par le clan mafieux, arrogant, criminel et rapace qui le dirige. Une dictature noire s’installe au nez et à la barbe d’intellos tétanisés, hibernés et complètement dépassés par les événements.
Ceux-là admettent qu’en toute impunité, les populations soient massacrées par des personnes entretenues à la sueur du contribuable, avec des armes et munitions achetées par l’impôt que celui-ci paie à l’Etat. Peu d’entre eux réfutent la gouvernance corrompue qui conduit les enfants d’un pays immensément riche vers les prisons de Libye ou les vagues meurtrières de la Méditerranée.
Les devanciers, eux, à peine titulaires du Certificat d’Etudes Primaires ou du Brevet d’Etudes Elémentaires ont affranchi le peuple de la déshumanisation et lui ont redonné sa liberté.
Aujourd’hui, les Professeurs Emérites et autres Docteurs semblent eux avoir perdu jusqu’au sens de l’indignation pour des actes qui justifient la révolte. Telle une troupe médusée, ils sont en train d’assister à la plus grosse arnaque de l’histoire politique de l’Afrique.
Dans l’illégalité totale, une brochure sortie de nulle part a été proposée à un soi-disant vote constitutionnel le 22 mars 20. Une mascarade nulle part égalée dans le monde entier a été théâtralisée en guise consultation du peuple pour son adoption. La suite est connue. Des dizaines d’opposants à ce coup d’Etat ont payé de leur vie. Des corps ont été nuitamment jetés dans une fosse commune comme du poulet avarié. Des centaines de blessés ont été enregistrés. Certains sont handicapés à vie. Plusieurs dizaines d’autres continuent de croupir dans les geôles du pays.
Comble de l’infantilisation et de l’insulte faite au peuple, un autre papier largement différent de celui soumis au vote, a été ‘’promulgué’’ et brandi comme ‘’constitution’’ du pays. Une ‘’assemblée nationale Covid jaune’’ a été installée pour compléter le casting.
Vraisemblablement, jamais meilleure occasion de manifestations de rue n’avait encore été offerte aux guinéens. Mais les cadres intellectuels, tels hypnotisés par un coup KO, n’ont pas su où donner de la tête. Les plus osés n’ont fait que dénoncer. Au-delà aucune forme de réaction ni individuelle ni collective. Le prétexte avancé, c’est une affaire de partis politiques. Pendant ce temps, le pays est juridiquement sans constitution.
Loin de toute prétention de donner des leçons, la présente tribune est une invite aux cadres intellectuels guinéens :
- à se remettre en cause par rapport au drame qui se joue dans le pays ;
- à arrêter de faire comme si de rien n’était alors que le pays est sans constitution ;
- à arrêter d’affubler le FNDC de critiques creuses du genre ‘’ils n’ont pas de stratégie’’, sans proposer eux-mêmes de stratégie ;
- à savoir que l’action politique est aussi citoyenne dès lors que les décisions concernant l’orientation du pays, englobant la vie des citoyens sont prises au niveau politique.
Par conséquent, et ne serait-ce que par compassion pour les populations auxquelles ils sont largement redevables, le devoir appelle à l’action.
Dieu le Très Haut est imploré pour une meilleure inspiration de chacun et de tous.
Elhadj Sény Facinet Sylla
Ex. Secrétaire Général Adjoint des Affaires Religieuses