Tribune. Quoiqu’on en dise et quoiqu’on en pense, il est une singularité guinéenne qui saute aux yeux, même lorsqu’on est malvoyant ou qu’on ne veuille rien voir ni rien entendre du fait de sa position par rapport au pouvoir en place. Comme on le sait, les arcanes du pouvoir imposent parfois même à des cadres guinéens reconnus intègres, de nier l’évidence ou faute de mieux, d’observer tout simplement un silence coupable. Nombreux sont ceux qui le font par pragmatisme, d’autres par réalisme dans le but de s’assurer des intérêts personnels et égoïstes au préjudice de leurs compatriotes.
En effet, une des singularités guinéennes, parce qu’on sait qu’il en existe plusieurs, est que, lors d’une élection au suffrage direct, même lorsqu’un candidat cumule la majorité des voix, il n’a aucune garantie d’être investi dans ses nouvelles fonctions. Les élections municipales organisées, il y a déjà plusieurs mois, fournissent des exemples dignes d’intérêt pour tout observateur patient des avatars politiques de notre beau pays, la Guinée. La situation singulière de la Mairie de Kindia et de celle de Matoto, entre autres, laissent présager que ceux qui nous gouvernent se donnent le droit d’outrepasser les responsabilités qu’ils incarnent en vue de se hisser au-dessus des lois pour ne pas dire se comporter comme « des hors-la-loi ». Tel un El dora do, la Guinée ressemble à une jungle où la vie sociopolitique s’autorégule par la force et la violence, non pas symbolique, mais coercitive. Cette situation permet aux gouvernants d’infliger selon leur gré et à volonté des sévices aux gouvernés, comme s’ils étaient investis du pouvoir d’appliquer une sélection naturelle d’ordre divin.
Aujourd’hui, l’espace public en Guinée est le théâtre d’une effervescence qui laisse présager l’avènement d’une situation chaotique si l’on n’y prend pas garde. Dans le contexte tendu en prélude aux prochaines élections présidentielles qui occultent d’ailleurs des législatives déjà annoncées pour la fin de l’année, chaque formation politique affûte ses armes. C’est au cœur de cette effervescence que deux camps s’affrontent : ceux qui militent pour la continuité d’un pouvoir, violent et corrompu, aux commandes et ceux qui souhaitent balayer l’équipe en place pour se hisser au sommet de la félicité en vue de prendre leur part du gâteau. Ainsi, la rencontre entre acteurs de la société civile, partis politiques, ministres, hauts fonctionnaires de l’administration qui soutiennent la Nouvelle Constitution, s’inscrit-elle dans le cadre d’une prise de position en faveur du troisième mandat.
En face de cette coalition se dressent plusieurs mouvements politiques naissants et quelques partis délabrés, où chacun exhibe ses biceps pour brandir la menace d’une confrontation directe ardue. Dans ce tohu-bohu, les coqs chantent, les poules caquètent, les ânes braient, les moutons aussi bêlent, même les chiens se lassent d’aboyer, comme si la basse-cour était sans maître. Mais si, comme tous les autres pensionnaires de notre basse-cour nationale, les vaches beuglent également tous à azimuts, ce qui capte davantage l’attention de tout homme d’esprit est le miaulement attendrissant des chats dans l’attente qu’un lion sorte de sa tanière pour mugir. Quand mugira-t-il ? Parfois l’avenir nous réserve bien de surprises.
Si tous les aspects énoncés précédemment retiennent notre attention, plus importante est la demande formulée par la CENI à l’adresse des partis politiques de fournir la liste de leurs candidats aux élections législatives annoncées pour le mois de novembre 2019. Or il apparaît, depuis plusieurs mois, que les élus locaux attendent toujours d’être investis aux postes de président de District ou de chef de quartier. Dans ce contexte, alors que le gouvernement n’a pas réussi à résorber entièrement tous les problèmes liés aux municipales, il prépare déjà des législatives qui risquent fort de ne pas se tenir pendant la période indiquée.
Finalement, la question qui taraude l’esprit de tout guinéen, est de savoir à quelles dates précises vont se tenir les élections annoncées. On peut penser avec un peu de clairvoyance que le retard dans l’installation des chefs de District et de Quartier s’explique par le fait que le RPG a perdu les élections au plan local. Or il se trouve que c’est à ce niveau, dans les structures de base, que se déroulent toutes les manipulations voire les malversations des résultats électoraux. L’attente de la cérémonie d’installation des élus locaux rime donc avec celle de trouver un stratagème pour changer le cours des résultats déjà-là. Alors qu’on attend dans l’anxiété les résultats des invocations de tous les mânes, sorciers, marabouts pour que lumière des lumières vole au secours de nos manipulateurs, un orage épais assombrit le ciel de la Guinée.
Une autre facette de la cacophonie à l’œuvre en Guinée concerne aussi le choix de l’opérateur, Inovatrics, chargé de gérer les futures élections. En effet, l’octroi du marché à cet opérateur international est loin d’être transparent et donc ne requiert pas non plus l’unanimité des acteurs politiques. Pendant ce temps, tels des ados, les représentants des partis politiques de l’opposition peinent toujours à accorder leurs voix face au pouvoir qui s’en donne cœur à joie. Avec une petite dose d’égoïsme à la guinéenne qui trouble la quiétude des hommes politiques quant à la représentativité de leur parti au sein de la Commission électorale -notre CENI nationale- « des Petits Partis » par rapport à leurs « Grands Frères », l’ambiance d’une cacophonie tonitruante et pérenne ne fait que commencer.
Face à toutes les incertitudes liées au chronogramme et à la manière d’organiser et d’administrer les élections législatives et présidentielles, qui s’annoncent en Guinée, la situation sociopolitique de notre pays laisse présager une équation à plusieurs inconnues. Bien malin sera l’esprit éclairé qui prédira l’avenir avec certitude. Pourvu que les acteurs politiques prennent de la hauteur pour épargner notre pays de l’anomie. Que Dieu protège la Guinée en créant les conditions d’une mobilisation puissante de la jeunesse en faveur d’un changement rapide pour le grand bonheur des citoyens !
Alpha Ousmane Barry
Professeur des Universités
Réseau Discours d’Afrique