Les Russes à Dian-Dian, les américains de Alcoa (CBG) à Sangarédi, Télimélé et Gaoual, les Chinois pullulent partout à Boké, à Boffa et à Télimélé, les Français de AMR à Malapouya en amodiation avec la SMB, les Anglais à Boffa, les Qataris à Tinguilinta, les Indiens à Malapouya. Des acteurs avec des intérêts, des ambitions et des stratégies différents, en compétition sur un espace exigu, pour la conquête d’une même ressource : la bauxite.
La géopolitique en activité ou la rivalité de pouvoir sur un territoire au tour d’un intérêt stratégique. Les faits semblent l’attester: démonstration de puissance technologique (chemin de fer de SMB), concurrence en pratique de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) et de développement local, débauchage d’employés, étouffement financier de concurrents par l’assèchement des contrats de bauxite (le cas de Alufer et de son client Chalco), la recrudescence d’enquêtes scientifiques (commanditées) des universités américaines sur les activités minières chinoises en Guinée, mise en avant d’images et de symbolique politique (drapeaux, couleurs, visites d’ambassadeurs..), possible espionnage économique…. Bref, tous les outils d’expression de l’influence, de projection de la puissance pour la conquête et la conservation d’un intérêt stratégique sont en cours. La ressource en jeu, la bauxite, constitue la substance de base de l’industrie aéronautique et de l’armement (près de 50% de la structure des avions est en Aluminium).
Les Américains ont très tôt pris l’enjeu au premier degré. En 1962, le gouvernement Kennedy brave l’opinion publique américaine et soutient la compagnie Harvey Aluminium pour le développement du projet CBG. Un investissement de 300 millions de dollars dans un pays socialiste en pleine guerre froide… Une ironie de l’histoire de la bipolarité ! Objectif : empêcher les Soviétiques d’établir une base militaire balistique à Conakry, à 6000 km des côtes new-yorkaises, juste après le traumatisme de la crise des missiles de Cuba.
En 1995, les USA poussent les Australiens à la dislocation de l’Association Internationale de la Bauxite (IBA), une association pour ne pas dire un cartel de pays producteurs de bauxite qui défendait un prix rémunérateur de la ressource, à l’image de l’OPEP. Cet angle géopolitique de nos mines est absent de toutes les réflexions stratégiques de gouvernance des ressources minières. La course effrénée à la rente produit un effet de cécité chez les stratèges miniers. Le temps du réveil a sonné. Repensons stratégiquement l’avenir de nos ressources.
La bauxite, c’est aussi de la géopolitique.
Par Barry Oumar, Doctorant à l’Université de Lyon (France),
Chercheur sur les Industries extractives et les Enjeux stratégiques des ressources minières