Le football n’est plus qu’un jeu. Il est devenu un puissant instrument géopolitique avec des implications économiques et commerciales.
En effet, depuis la désignation de la Russie pour l’organisation de la coupe du monde 2018 et l’échec de la candidature américaine pour celle de 2022, les stratèges du gouvernement américain ont compris la nécessité de se repositionner et se sont mis à l’œuvre pour non seulement sanctionné mais reconquérir avec une puissante démonstration de force.
La première démarche consistait d’abord à faire tomber la FIFA dont tout le monde connaissait d’ailleurs le système de corruption et de manipulation depuis João Havelange. Et de ce fait, susciter sa réorganisation (renouvellement de la direction, changement du système de fonctionnement, redéfinition des objectifs sportifs et financiers…) pour ainsi remettre la machine au service des ‘’nouveaux patrons’’ du monde.
Partant du principe que sous l’ère de la mondialisation seuls les grands ensembles ont une chance de réussite, l’option d’une coalition avec le Canada et le Mexique pour présenter une candidature commune afin de bien maquiller le jeu paternaliste, cacher ses ambitions de domination absolue (plus de la moitié des matchs se joueront sur le territoire américain) et son désir de régler des comptes, arrangeait plusieurs choses à la fois tout en renforçant les chances de succès du projet. Ça s’appelle du réalisme tout simplement.
Ensuite, utiliser le canal politique et géostratégique pour mettre la pression sur tous les pays bénéficiaires de programmes d’aide du gouvernement américain afin d’obtenir obligatoirement leur vote. N’est-ce pas un juge fédéral américain qui a été à la base des révélations de corruption au sein de la FIFA qui ont conduit à mettre hors-jeu Joseph Blatter, Michel Platini et compagnie ? Et cela est parti de Chuck Blazer, citoyen américain et ancien président de la CONCACAF, exclu de la FIFA pour avoir accepté des pots-de-vin à l’époque où il était en fonction.
Il a été à l’origine du scandale de corruption qui a ébranlé le football mondial en 2015. Et pour échapper aux poursuites auxquelles il s’exposait dans son pays, il avait préféré passer un deal : coopérer pour éviter la prison. C’est ainsi que depuis son arrestation en 2011 à New York, il renseignait la justice américaine et le FBI, qui enquêtaient sur la FIFA, en particulier sur le versement présumé de dessous-de-table et de commissions lors des procédures d’attribution des compétitions.
Par ailleurs, les enjeux commerciaux de la coupe du monde 2026 tournent autour de 14 milliards de dollars de recettes pour seulement la FIFA. Donald Trump étant un homme d’affaires, a dû déduire proportionnellement le potentiel gain financier américain pour mettre autant d’effort dans la balance.
Entre 2007 et 2014, la Russie s’est préparée dans la douleur à l’organisation des Jeux d’hiver à Sotchi. Tout de même cette période a connu d’importantes transformations de l’environnement géopolitique régional dans le sens d’un renforcement des positions du pays. Cette coupe du monde 2018 est donc une opportunité pour confirmer sa puissance retrouvée et consacrer le retour à l’équilibre mondial c’est-à-dire à la bipolarisation.
La Chine a organisé avec succès les JO 2008, le Brésil la coupe du monde 2014 et les JO 2016, tandis que les États-Unis n’ont organisé aucun événement sportif mondial de grande envergure depuis 1994. Et pourtant, il est démontré que le sport en général et le football en particulier intéresse passionnément près d’un tiers de la population mondiale c’est-à-dire un peu plus de 2 milliards de personnes. Face à un tel potentiel, un grand pays ne se contente pas d’un rôle de spectateur des grands événements sportifs. Soit, il les organise ou il les détourne à ses profits sans état d’âme.
C’est pourquoi, les lobbys, les pressions politiques, les chantages économiques, les menaces de poursuites ont amené beaucoup de délégués à réfléchir avant de cliquer sur le bouton de vote.
Et notre Guinée dans tout cela ?
Là où Gianni Infantino, l’actuel président de la FIFA n’a pas beaucoup réfléchi, je ne vois pas ce qu’Antonio Souaré, président d’une fédération de football d’un pays dont l’ensemble des recettes budgétaires tourne autour de 1,4 milliard de $ soit un dixième de ce qu’une coupe du monde peut rapporter à son seul organisateur, pouvait faire si ce n’est que se ‘’tromper volontairement’’ de vote.
Je m’abstiens d’ajouter notre fragilité politique et économique en notant au passage notre dépendance en tout ou presque. Celui qui ne peut pas résister face à un simple courrier d’un ambassadeur occidental ne peut être indifférent au Tweet menaçant du président des États-Unis. Ainsi, nos amis marocains ne pouvaient espérer obtenir que le minimum humanitaire face à un résultat déjà connu avant le scrutin politico-sportif.
Enfin, pour voir un autre pays africain organiser la coupe du monde de football, il faut deux miracles : avoir son Nelson Mandela ou devenir une véritable puissance. Ce qui risque de ne pas arriver avant plusieurs décennies encore, car le monde ne nous fera aucun cadeau.
Aliou BAH
Homme politique