A la veille du scrutin du 1er mars prochain, qui verra les élections législatives et le référendum constitutionnel couplés, la Guinée s’enfonce dans un chaos politique et répressif. Tandis que les puissances internationales comme les USA et l’UE sonnent l’alarme, l’Union Africaine et la CEDEAO s’enferment dans un silence coupable.
Dans un décret rendu public à la télévision nationale le 4 février dernier, Alpha Condé a annoncé que la tenue d’un référendum portant sur l’adoption d’une nouvelle constitution sera concomitante avec les élections législatives, ce dimanche 1er mars. Réunie au sein du FNDC aux côtés de la société civile, l’opposition avait avant cela pris la décision de boycotter les législatives pour de multiples irrégularités enregistrées et reconnues. Si la vague de contestation contre le 3ème mandat d’Alpha Condé ne faiblit pas dans le pays, le président guinéen avance désormais à découvert vers son objectif – une présidence à vie – et ce, dans le silence assourdissant des institutions africaines.
Vers une prise de conscience internationale de la situation en Guinée
Le 7 février dernier, le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a exprimé ses doutes et inquiétudes sur la transparence et la fiabilité des scrutins législatifs et référendaires couplés. Les Etats-Unis déclarent que “violence, répression, et intimidation politique n’ont pas de place en démocratie” et exhortent les forces de sécurité à respecter le droit des citoyens à participer à des manifestations pacifiques. Pis, Mike Pompeo conclut son communiqué de presse par cette injonction tacite : “Comme je l’ai indiqué au Président Condé en septembre 2019 lors de sa visite à Washington, les États-Unis soutiennent fermement les transitions régulières et démocratiques du pouvoir”.
L’Union Européenne n’est pas en reste. Par la voix de sa porte-parole pour les Affaires étrangères, les pays membres de l’UE affirment que la décision du pouvoir de coupler les élections législatives et le référendum constitutionnel “divise profondément le pays”.
Le Parlement européen s’inscrit également dans la lignée des instances internationales qui tirent la sonnette d’alarme sur la Guinée en adoptant, ce 13 février, une résolution sur la République de Guinée, et notamment la violence à l’encontre des manifestants (2020/2551(RSP)).
Ce premier signal d’alerte fort à l’international pourrait n’être que le début d’une mise au ban du concert des nations plus ferme, à travers notamment des sanctions économiques visant la Guinée.
Union Africaine et CEDEAO : un silence coupable
Tandis que les pays occidentaux ont ces derniers jours vivement réagi au sujet de la crise en Guinée, et notamment sur les risques d’instabilité pour l’ensemble de la sous-région, Alpha Condé semble obtenir auprès de ses confrères africains un certain silence, si ce n’est une inquiétante complaisance.
La Lettre du Continent du 22 janvier 2020 nous renseigne que l’Union africaine est bien consciente de la situation en Guinée, mais aussi et surtout des risques liés à la volonté d’Alpha Condé de briguer un 3ème mandat. Le 7 janvier dernier, “Inquiet de la détermination du président guinéen à solliciter un troisième mandat, l’Union africaine, en bonne intelligence avec Washington, a dépêché le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali à Conakry.” L’article rappelle qu’Alpha Condé “avait très mal pris les critiques à peine voilées formulées l’été dernier par plusieurs dirigeants africains sur ses projets politiques intérieurs”. On y apprend également que l’échec de la médiation est en grande partie dûe “au soutien inconditionnel offert par les deux principaux alliés de Conakry, la Turquie et la Russie, aux projets d’Alpha Condé”.
Selon Jeune Afrique, la Guinée n’est pas un dossier majeur pour l’Union africaine, absente des “huits dossiers qui ont marqué le sommet d’Addis-Abeba” les 9 et 10 février derniers, dont le thème était pourtant “Faire taire les armes en Afrique”. Le drame est qu’Alpha Condé étouffe l’opposition citoyenne contre le référendum constitutionnel et le 3ème mandat dans le sang et la terreur. Malgré l’activisme des ONG Human Watch Rights et Amnesty International qui alertent sur les méthodes répressives du pouvoir lors des manifestations, plus de trente Guinéens ont été tués sous les coups ou les balles des forces de l’ordre depuis le début du mouvement en octobre 2019.
Seul président africain en exercice à avoir indirectement critiqué le projet d’Alpha Condé : Mahamadou Issoufou. Lors d’une conférence à Niamey en octobre 2019, le Président du Niger, connu pour être très engagé en faveur de la limitation des mandats présidentiels sur le continent, avait lui même déclaré qu’il quitterait la Présidence à la fin de son second et dernier mandat. Il a également visé Alpha Condé et sa volonté – à l’époque encore à peine voilée – de vouloir briguer un 3ème mandat.
D’autres hommes politiques africains de premier plan ont emboîté le pas au Président du Niger. Nicéphore Soglo, ancien chef d’Etat du Bénin, à l’issue de sa mission en Guinée avec Goodluck Jonathan, précédemment président du Nigéria, pour le compte du National Democratic Institute a tiré à boulets rouges sur le projet d’Alpha Condé. “Il ne faut pas attendre qu’il y ait des génocides pour intervenir” avait-il lancé, en décembre dernier, évoquant les nombreux morts lors des manifestations d’opposition au troisième mandat.
Niger, Bénin, Nigeria… tous ces pays sont membres de la CEDEAO et de l’Union africaine. Le silence pesant de ces organisations intergouvernementales africaines, dont l’une est pourtant présidée par Mahamadou Issoufou, traduit une certaine gêne à condamner les agissements d’Alpha Condé.
Le Réseau Libéral Africain, qui se réunissait ce week end à Ouagadougou pour sa 16ème Assemblée générale et dont le thème était “Paix et stabilité pour le développement économique et social en Afrique”, a par ailleurs adopté une résolution sur la crise socio-politique en République de Guinée. Cette résolution du 15 février 2020 condamne l’usage d’armes létales par les forces de l’ordre ainsi que la violence qu’elles exercent contre les populations, déclare le soutien du Réseau Libéral Africain au FNDC et appelle l’UA et la CEDEAO à réagir au plus vite pour raisonner Alpha Condé dans sa démarche mortifère.
Lundi 10 février dernier, Alpha Condé répondait aux questions de RFI et France 24 et déclarait sans sourciller : « Vous avez des présidents qui font 4, 5, 6 mandats et vous trouvez ça normal. Et quand c’est le cas de la Guinée, ça devient un scandale… », affirmant que son parti, le RPG Arc-en-Ciel, sera libre de le déclarer candidat.
Face à la volonté désormais affichée d’Alpha Condé de tripatouiller la Constitution pour s’accrocher au pouvoir et malgré les appels de la communauté internationale en faveur d’une intervention de la CEDEAO et de l’UA, les instances africaines restent (volontairement ?) silencieuses. Jusqu’à quand assumeront-elles de laisser la Guinée brûler ?
Par Blandine Léger in blogs.mediapart.fr