Abdelaziz Bouteflika a annoncé ce lundi qu’il ne briguera pas un cinquième mandat. En réalité, le président avait déjà quitté la scène depuis 2012.
Finie la comédie ! Les Algériens n’assisteront pas au spectacle dégradant – et humiliant pour tout un peuple – d’un candidat quasi-grabataire faisant semblant de mener campagne en fauteuil roulant, mutique. Et encore, même un tel service minimum, rien ne dit qu’Abdelaziz Bouteflika aurait été capable de l’assurer.
À 82 ans, affaibli et invisible, le Vieux, comme l’appellent mi- goguenards, mi- respectueux, malgré tout, les Algériens, jette l’éponge. En réalité, le président avait déjà quitté la scène depuis 2012, date de son dernier discours public, à Sétif. Frappé par un AVC en 2013, lui qui était déjà diminué par un (supposé) cancer de l’estomac, devint peu à peu un chef d’État fantôme, fréquemment en séjour médical à Paris au Val-de-Grâce, à Grenoble ou à Genève.
Poussé sur ses roulettes lors des grandes occasions ou des visites de dirigeants étrangers, il s’exprime dans un murmure, ressasse des événements passés et garde le regard dans le vague. L’ex-Premier ministre Manuel Valls ne déclencha-t-il pas une petite tempête diplomatique en publiant sur Twitter, une photo de lui-même, au palais présidentiel d’El-Mouradia, flanqué d’un Bouteflika hagard ?
Avec lui, c’est aussi, sans doute – tout restant possible avec un régime aussi verrouillé —, l’effacement programmé de la fameuse génération FLN. Ces héros de la longue guerre de Libération – longtemps appelée en France « les événements d’Algérie » –, qui tiennent les commandes depuis l’indépendance en 1962.
Saïd Bouteflika, son véritable double
Dans ces années cruciales, le jeune Bouteflika intègre en 1956, à 19 ans, l’école des cadres de l’ALN (Armée de libération nationale, branche militaire du FLN), est notamment envoyé en mission en France, en 1961, pour nouer le contact avec les chefs indépendantistes historiques, tel Ahmed Ben Bella, en résidence surveillée dans la région parisienne. Lorsque le raide Houari Boumediene, éliminant le clan des « historiques » au milieu des années 1960, devient l’homme fort de l’Algérie, il fait de Bouteflika son indéboulonnable ministre des Affaires étrangères (1963-1979).
Des années flamboyantes pour l’élégant ministre, qui, constamment ente deux avions, soigne sa mise et sa moustache, écume les sommets arabes et africains, toujours prêt à proposer l’aide de la jeune Algérie, financièrement ou militairement, aux mouvements de libération anti-coloniaux qui fleurissent alors un peu partout. Après une période de disgrâce suite à la mort de Boumediene, qui le voit s’établir comme homme d’affaires entre les pays du Golfe, la Suisse et la France, il est rappelé par les militaires, les fameux « décideurs », à l’issue de la sanglante guerre civile de la décennie 1990.
Élu président en 1999 – avec 74 % des voix, puis réélu avec 85 % des voix en 2004, 90 % en 2009 et 81 % en 2014 –, il fait bouger le pays. Éloigne un peu les militaires du cercle des décisions, réforme la Constitution pour renforcer ses pouvoirs, mise sur une nouvelle classe d’hommes d’affaires, s’appuie sur ses frères : aujourd’hui, Saïd Bouteflika, 61 ans, est son véritable double.
En 2011, au plus fort du printemps arabe dans les pays voisins, il comprend qu’il faut lâcher du lest. Le régime entame une redistribution des richesses (jusqu’alors confisquées par le clan), accorde des aides économiques aux jeunes et aux foyers, organise un semblant de représentation politique démocratique. Trop tard, ou pas assez pour le peuple algérien, qui vient de lui signifier son congé.