Chronique. Le combat pour la démocratie est loin d’être gagné en Afrique, où, s’autoproclamant garants de la « stabilité », des politiques se cramponnent au pouvoir.
Le mot « stabilité » revient comme une ritournelle dans la bouche des diplomates en ces temps incertains où les Africains tentent tant bien que mal de préserver les acquis démocratiques du début des années 1990. On les comprend. Dans leur esprit, stabilité est synonyme de paix, et la paix est bien plus précieuse que le reste. Au nom de cette vertu cardinale, les démocrates sont invités à réduire leurs prétentions et les apôtres de la liberté, à se restreindre.
De bonnes intentions pour l’enfer
La communauté internationale tient coûte que coûte à éloigner le continent du spectre désolant des guerres civiles et des sécessions. C’est une bonne intention, sauf que les Africains ne comptent plus les enfers que pavent les bonnes intentions de l’ONU, de l’Union africaine ou de la Cedeao. Tout n’est pas rose du côté de nos grands commis de New York et d’Addis-Abeba, c’est le moins que l’on puisse dire, et ce terme de stabilité qui leur est si cher mérite d’être pris avec des pincettes. La stabilité que l’on nous a servie jusqu’ici a une forte odeur d’immobilisme. En général, elle ne repose pas sur un système, mais sur un individu maintenu au pouvoir soit par les armes, soit par le tripatouillage institutionnel.
On sait ce qu’a donné au Zaïre la stabilité à la Mobutu. On pressent d’ores et déjà ce que donnera en Guinée la stabilité à la Alpha Condé. L’Afrique ira de Charybde en Scylla, je veux dire de régime militaire en parti unique (qu’il soit peu ou pas déguisé), tant que les individus précéderont les principes et les causes.
L’alternance, la seule garantie pour la démocratie
Par nature, le pouvoir inamovible est source de chaos parce que générateur d’inertie et de frustrations. La vie sera vivable le jour où nos systèmes politiques gagneront en fluidité, le jour où, d’eux-mêmes, ils pourront se renouveler. Autrement dit, l’alternance au pouvoir représente la seule et unique garantie de la démocratie. Les dérives interviennent dès que celle-ci est faussée. Qu’ils soient opérés par les armes ou par le stylo à bille, tous les coups d’État sont nuisibles.
Or, à ce jour, seuls les militaires sont mis à l’index, ceux qui, sur le papier, jouent avec les règles établies peuvent se la couler douce. Alors, question : a-t-on le droit de condamner les putschs militaires tout en fermant les yeux sur les putschs constitutionnels ? Un putsch vaut-il mieux qu’un autre ?
La CEDEAO a désapprouvé les mutins de Kati alors qu’elle a observé une attitude ambiguë, voire complice, devant les agissements intolérables d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara. Ce deux poids, deux mesures jettent le discrédit sur une organisation censée œuvrer pour l’avènement de l’unité et de la démocratie dans toute l’Afrique de l’Ouest.
La stabilité est dans le changement
Nous devons revoir notre copie en matière de stabilité. Rien de plus stabilisateur, en effet, que le changement en bonne et due forme. Regardez l’Italie : ce pays change de gouvernement toutes les semaines et, pourtant, c’est le régime politique le plus stable du monde. On y fait valser les Premiers ministres sans jamais toucher à la Constitution devant laquelle tout le monde se plie, à commencer par les grands manitous. Et c’est là tout le drame de l’Afrique : nos dirigeants, eux, ne respectent rien, même pas les textes fondamentaux qui les ont portés au pouvoir. Pour favoriser la stabilité et la paix, il ne faut pas sacraliser les personnes, il faut sacraliser les Institutions.
Par Tierno Monénembo