La présence de nombreux lobbys et de groupes d’intérêts au sein des processus de négociation explique le manque d’ambition de la 25e conférence des Nations unies sur le changement climatique.
Tribune. Le sommet de la COP25 qui s’est conclu à Madrid, avec seulement des accords inaboutis sur la façon de faire face à la plus grande crise de notre vie, a coïncidé avec la Journée internationale de lutte contre la corruption. Une occasion de changer de perspective et de faire la lumière sur l’intersection négligée entre corruption et crise climatique.
Le terme «corruption» est largement utilisé de nos jours et certaines manifestations de ce phénomène sont connues. Mais ses racines ne sont pas toujours bien comprises et les vrais problèmes restent souvent sans réponse. Transparency International définit la corruption comme «le détournement à des fins privées d’un pouvoir confié en délégation». Comment protéger une mangrove lorsque le président et sa famille peuvent bénéficier directement de contrats concernant cette zone via des pots-de-vin ? En France, une situation similaire a conduit à la démission d’un ministre : malgré son poids politique et sa popularité, Nicolas Hulot a considéré qu’il ne pouvait pas remplir son mandat car sa voix était réduite au silence lorsque de puissants lobbys parlaient haut.
Dans de nombreux contextes, évoquer la corruption est toujours extrêmement difficile. Mais pourquoi l’ambition manque quand nous connaissons les solutions, quand nous avons les technologies et quand nous pouvons trouver l’argent ?
L’une des manifestations les plus subtiles de la corruption est l’influence indue, où des groupes d’intérêt utilisent différents mécanismes (la plupart légaux mais le plus souvent opaques) pour influencer les processus décisionnels : c’est ce qui s’est notamment produit à Madrid.
Sponsor «diamant»
Certaines des entreprises les plus polluantes d’Espagne ont généreusement payé 2 millions d’euros pour devenir sponsor «diamant». Grâce à leur financement (qu’elles vont en quasi-totalité récupérer sous forme d’incitations fiscales), elles ont reçu un espace d’exposition dans la zone réservée aux parties prenantes de la conférence. Il est évident que l’industrie des combustibles fossiles exerce une influence (financière) disproportionnée sur l’élaboration des politiques. Les cinq plus grandes sociétés pétrolières et gazières ont investi plus d’un milliard de dollars au cours des trois années qui ont suivi l’accord de Paris (décembre 2015) pour contrer les politiques climatiques avec des arguments fallacieux. Beaucoup de ces lobbyistes sont également accrédités en tant qu’observateurs pour participer aux COP : cette année, huit accréditations ont été accordées à une organisation dite climatosceptique. Tandis qu’une organisation comme Transparency International, représentant des organisations locales dans plus de 100 pays, n’en a reçu que six !
L’accord de Paris prévoit un «cadre de transparence» par lequel les pays doivent indiquer leurs actions et les financements fournis. Mais ce point n’est pas parvenu à une conclusion à la COP25 : aucun accord sur les délais ni les formats de rapports communs n’a pu être trouvé.
De même, les décisions sur les règles (notamment comptables) pour les marchés de carbone ont été reportées à la prochaine COP à Glasgow, en 2020. Sur ces sujets importants, la recherche, qui informe les sommets comme la COP, est également soumise à des conflits d’intérêts. Nombreux cas de corruption et de violations des droits de l’homme ont affecté le mécanisme pour un développement propre, le modèle de marchés de carbone défini dans le protocole de Kyoto. A la COP25, les chercheurs d’Harvard ont déclaré de manière véhémente qu’aucune corruption n’avait été constatée dans les marchés de carbone. Ils ont souligné que trop de réglementations constituerait un obstacle car les marchés s’autoréglementent. Or Harvard est l’une des rares universités à être financée de façon croissante par des sociétés pétrolières et gazières, y compris pour faire des recherches sur ces sujets. Ces conflits d’intérêts n’entachent pas seulement les négociations internationales, ils gangrènent également nos Etats en raison de la faiblesse des cadres réglementaires en matière de financement des campagnes et de lobbying.
Menaces de mort
Le fonctionnement actuel de nos économies résulte de la colonisation, la mondialisation imposant la majeure partie du fardeau social et environnemental aux pays du Sud. Certains pays continuent de piller les ressources et d’exporter leur pollution : la corruption est souvent un catalyseur et fait en sorte que la facture soit payée par les populations les plus vulnérables. Mais la nature n’est pas une ressource à laquelle nous pouvons toujours attribuer un prix.
Et les peuples autochtones se trouvent souvent en première ligne de la protection de la nature. Trois défenseurs de l’environnement sont tués chaque semaine : la plupart dans des pays où les indices relatifs à l’état de droit et la corruption sont à des niveaux inquiétants. Et beaucoup plus sont harcelés, selon le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme. L’un d’eux, Miguel Guimaraes, défenseur de l’Amazonie péruvienne, a reçu des menaces de mort alors qu’il dénonçait un réseau de corruption entre politiciens et entreprises, dont certaines enregistrées aux Bermudes.
Seuls 3% de la population vit dans des pays assurant un espace civique ouvert avec une tendance à la diminution dans de nombreux pays. Quand il est dangereux de résister à des intérêts puissants et dénoncer la corruption, les populations y perdent, et la planète aussi.
Le rôle premier des négociateurs des COP ne doit pas se réduire à planifier la prochaine réunion.
Il existe une mobilisation impressionnante des citoyens et quelques exemples de la façon dont les choses peuvent fonctionner. En Asie, les organes de contrôle affirment leur pouvoir : l’agence anticorruption indonésienne (KPK) sanctionne les responsables politiques impliqués dans des crimes environnementaux ; les parlementaires indiens organisent des auditions publiques sur les sites de projets climat pour en rectifier les dérives. En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’accord d’Escazú récemment approuvé garantit l’accès aux informations environnementales. En Europe, le nouveau Green Deal reconnaît la «déforestation importée», et la nécessité d’améliorer la gouvernance forestière. En Afrique, un groupe de travail multipartite a pour mandat d’améliorer l’intégrité dans la gestion des forêts au Kenya.
La corruption est à la fois une cause et un facteur aggravant de la crise climatique. Nous devons de toute urgence veiller à ce que les politiques climatiques servent les intérêts de tous et de la planète, et pas seulement de quelques-uns. La bonne gouvernance doit être la pierre angulaire de l’accord de Paris si nous voulons gagner la lutte contre le changement climatique.
Par Brice Böhmer, coordinateur du programme sur l’intégrité de la gouvernance climatique chez Transparency International