Je viens de lire La face cachée d’un mariage parfait de Binta Bah, le premier roman d’une jeune Guinéenne qui vit à Paris. L’action se déroule à Dakar dans le milieu de la moyenne bourgeoisie africaine.
C’est l’histoire mouvementée d’un couple, Iba et Saki, un jeune médecin et une jeune comptable. Un jeune couple bien d’aujourd’hui qui tente de s’inventer une relation nouvelle, hors du carcan traditionnel, de plain-pied dans la modernité. Iba et Saki sont amoureux mais leur amour traversera après leur mariage, une longue zone de turbulences faites de suspicions et de crises de nerfs, de trahisons et de ruptures.
Il est intéressant de voir une romancière d’aujourd’hui suivre un couple d’aujourd’hui dans son menu quotidien, de la salle de bains à la chambre conjugale, du bureau au restaurant. Binta Bah a le regard du sociologue et la plume du chroniqueur. Elle croque avec acuité les mœurs urbaines de la nouvelle génération africaine. Le village est loin, les bungalows ont remplacé les cases, les bouquets de fleurs, la cola, Facebook, l’arbre à palabres même si les marabouts et les pesanteurs familiales restent aux aguets.
Notre romancière travaille à la manière du scénariste. Elle campe bien ses personnages. Elle découpe l’action en plans et en séquences. On se croirait au cinéma. Iba et Saki, on y croit. On les voit, on pourrait même leur parler et les toucher. On compatit à leurs joies et à leurs peines. On a envie de sauver leur amour sincère mais toujours chancelant par la faute de Iba qui, tout en aimant sa femme, ne cesse de regarder à droite et à gauche.
La mise en scène est parfaite. Au centre, Iba et Saki, entourés d’une galerie de personnages qui tous, influencent le couple, les uns positivement, les autres, négativement. Il y a bien sûr, les deux familles. Il y a Saly, l’amie de Saki. Il y a Bocar, l’ami de Iba. Il y a surtout, Fati, la rivale, l’envieuse-un excellent personnage de roman- celle qui est prête à se payer tous les marabouts du globe pour briser notre couple-vedette et récupérer l’homme qu’elle aime. Si, au bout du compte, Saki réussira à éloigner la maléfique Fati, un nuage encore plus lourd viendra planer sur son ménage en la personne de Amira, un amour de jeunesse que Iba retrouve par le plus grand des hasards. Encore un écueil que Saki saura éviter après une cinglante mise au point avec son homme.
Si Dakar est très présente avec son atmosphère chaleureuse et son vieux charme colonial, le lecteur est invité à visiter le Maron et Dubaï et pour finir la France où les frasques de Iba (qui y a trouvé un stage) atteignent leur paroxysme. A bout de nerfs, Saki cette fois, fugue. Iba tombe dans une terrible dépression. Plusieurs mois après, il reçoit un coup de fil de sa mère : Saki est à Dakar, et elle demande le divorce. Son stage ayant pris fin, il rejoint lui aussi la capitale sénégalaise. Saki est enceinte, enceinte de deux jumeaux. Malgré cela, elle refuse de le voir. Elle reste intraitable, elle exige le divorce malgré la pression des parents. Seulement, à y bien penser, la situation est nouvelle, ces jumeaux sont là et ils ont besoin d’un père. Alors, elle finit par céder. Cependant, sa mise en garde est sans équivoque : s’il recommence ses coucheries, il ne la reverra plus jamais ni elle ni ses enfants.
Ce mariage parfait est surtout un parfait roman d’éducation sentimentale. Au fond, Iba n’est pas un salaud, c’est un homme immature, un grand gamin qui ne sait pas ce qu’il fait. Saki est obligée de quitter son rôle d’épouse pour jouer celui de la mère afin de le mettre devant ses responsabilités. Et cette fois, ça marche. Leur belle histoire finit bien, comme dans les meilleurs contes. On aime voir cet amour naître, vaciller dangereusement avant d’atteindre la maturité.
La langue de Binta Bah est simple mais exacte aussi bien dans sa grammaire que dans sa syntaxe et l’histoire est si bien racontée qu’un bon réalisateur pourrait facilement en faire un téléfilm. Cependant, le livre ne manque pas de défauts : trop de répétitions, trop de temps morts, trop de longueurs. Ce roman de 500 pages pourrait se réduire à 300 voire 200 pages. La langue gagnerait en rythme et le récit, en intensité.
Et puis alors que tout se passait bien jusqu’à la moitié du livre, la méchante Fati que l’on croyait finie, reprend du service. Son histoire occupe une telle place qu’elle encombre celle de nos deux personnages principaux. Un roman dans le roman en quelque sorte ! Dommage !
Mais n’insistons pas. Il s’agit là de péchés de jeunesse que l’âge et les lectures corrigeront. En attendant, ne boudons pas notre plaisir et surtout, ne décourageons pas un talent si prometteur.
Tierno Monénembo
La face cachée d’un mariage parfait *de Binta Bah, Les Editions Sydney Laurent, Paris, 2019, 483 pages.