Les insinuations courantes ne cachent rien sur les intentions têtues des jeunes de chasser tous les vieux encore présents dans l’administration. Les déclarations affichent sans gêne un agacement mal contenu au niveau des générations montantes en quête du premier emploi. Lamarana Diallo analyse le phénomène.
Un jeune pas trop jeune commandait, il n’y a pas longtemps, que tous ceux qui sont nés avant 1958, partent de la fonction publique. Un autre d’une tranche intermédiaire de la pyramide des âges du pays s’est récemment extasié sur l’occupation illégitime de maints postes administratifs par des seniors fatigués. Ce fut au milieu de grandes gueules. Selon lui, les vieux seraient non seulement fatigués mais ils ne savent pas utiliser les nouvelles technologies de la gouvernance moderne.
Ordinateurs, smartphones, réseaux sociaux et autres vidéoconférences leur seraient totalement inconnus. Ils ne savent pas que de son lit, un Directeur de radio privée peut la gérer convenablement à longueur de journées.
Quand ils lisent, ces vieillards le font au moyen de lunettes d’un autre âge qui leur font louper le sens de ce qu’ils lisent. Ils mettraient des journées entières à calculer et à écrire même si leur production est finalement limpide et de qualité. Mais ils ne savent pas lire et comprendre les messages électroniques aux abréviations bizarres d’aujourd’hui. Ils seraient vraiment vieux, ces vieillards. Leurs expériences seraient elles aussi vieilles et bonnes pour la poubelle.
Les jeunes ont trop observé ces vieux. Leur démarche hésitante ne leur plait pas. La façon dont ces personnes âgées montent l’escalier du bureau où ils travaillent, énerve ces jeunes. Pourtant ils ont le visage encore luisant et les cheveux souvent noircis sinon la tête finement rasée. Cela n’aurait pas suffi pour qu’aux yeux des jeunes, ils soient acceptables au sein de l’administration d’un pays en construction. Celle-ci est trop vieillissante à cause de la présence massive de ces doyens un peu trop présents depuis la proclamation de l’indépendance de la Guinée.
Rajeunissement et féminisation, où êtes-vous ?
La pyramide des âges de l’administration est anormalement inversée sinon perturbée. Il ne devrait pas en être ainsi. Selon des indiscrétions de jeunes qui travaillent au Ministère de la Fonction publique, quelques doyens auraient demandé et obtenu un prolongement de carrière administrative après avoir été surpris dans une sorte de loupage de leur carrière professionnelle.
Pire, d’autres auraient diminué leur âge pour se donner la possibilité de rester « légalement » dans l’administration. Tout cela mis ensemble, aurait alerté les jeunes sur les risques qu’ils courraient à chômer toute leur vie s’ils devraient attendre ces vieux trainards pour commencer à travailler. Ces vieux seraient-ils responsables du chômage massif des jeunes en Guinée ?
Prenez vos horloges et calculatrices démographiques ! Tout le monde sera éclairé. Les vieux devraient comprendre ces jeunes. Ceux-ci éprouvent plutôt un sentiment de pitié dénuée de toute solidarité. Ils ont l’air de penser que les générations humaines se joignent bout-à-bout d’une période à l’autre. Ils ne sont pas conscients que dans l’espace, elles s’interpénètrent par chevauchements ininterrompus pour éviter des ruptures historiques dévastatrices. Leur éducation ne leur a pas permis de saisir cette rationalité divine. C’est la faute des vieux qui n’ont pu raffiner le système éducatif jusqu’à ces niveaux d’appréhension philosophique. C’est aussi leur faute de s’être trop attardés là où ils sont. Ils ont commis d’autres fautes dont celui d’installer une administration où le fonctionnaire est foncièrement contre le fonctionnaire.
Cette administration a établi d’année en année et d’ajustement en ajustement, des salaires insuffisants sinon minables. Elle a loti les villes pour d’autres catégories socioprofessionnelles en oubliant effrontément le fonctionnaire. Celui-ci n’entend parler de logements sociaux que lors des campagnes électorales.
En ces temps de courses effrénées à la richesse et au pouvoir, il en paie douloureusement les frais dans les affres de la location. Vieux, il est considéré comme un minable qui n’a jamais servi son pays, cette Guinée bénie des rivières du sud.
Dans cette lutte du fonctionnaire contre le fonctionnaire, seuls quelques privilégiés auront su se positionner pour s’en tirer avec quelque aisance volée ou méritée. En traitant au cas par cas les carrières des fonctionnaires, cette administration de fortune a oublié dès la fin de la première République que les promotions de fonctionnaires ont droit aux avancements.
D’étape en étape, elle a bâti un système de retraite juste pour la survie des pensionnaires. Aussi a-t-elle construit une véritable psychose de la retraite dont les bénéficiaires se croient menés tout droit à la torture en attendant le repos éternel souvent précipité par le dénuement. En effet et bien qu’ajustées récemment, les pensions viennent comme des aumônes mensuelles ou trimestrielles rappeler aux pensionnaires qu’ils sortent d’une administration, hier à l’assaut de leur bien-être, aujourd’hui indifférente de leur sort. Qu’ils partent donc, ces vieux même sans avoir écrit l’histoire générale de la Guinée !
On ne doit toutefois pas reprocher aux anciennes générations d’avoir oublié de s’organiser en syndiqués vigilants pour se prémunir de ce rejet social montant. Elles ont même engendré des syndicalistes braves et des syndicats bruyants. On dirait néanmoins que ces syndicats et syndicalistes se sont trop concentrés sur l’augmentation exponentielle de leurs bas salaires que sur la promotion de la totalité de leurs droits. Ils n’ont pu se rendre compte qu’ils ne pouvaient réussir une augmentation significative car « petit salaire » de base ne peut générer que « petit pourcentage » d’augmentation.
En oubliant leurs autres droits de travailleurs, les vieux fonctionnaires et autre vieil employé de l’administration guinéenne auront tout manqué sauf le sort de finir majoritairement leurs jours en pauvres hères. Leurs contemporains moins âgés ont eu – sans le savoir – pitié de cette situation que risquent ou sont en train de subir leurs ainés partants. Pitié et pitié !
Les jeunes devraient eux aussi comprendre les vieux.
Ceux-ci sont confortablement installés dans ce que les sociologues appellent le « mythe de l’âge d’or » ou nostalgie endémique du passé.
Ah !, le bon vieux temps. Ils sont un peu trop sûrs que « leur temps » est toujours le meilleur. En conséquence ils se croient détenteurs de compétences irremplaçables. Ils reconnaissent d’ailleurs que les jeunes sont pétris de techniques informatiques. Et ces vieux voient bien que les jeunes traitent rapidement quantités infinies d’effectifs et construisent des graphiques magnifiques. Mais les doyens doutent un peu des compétences administratives des juniors ainsi que de leurs capacités de prise en charge des dossiers sérieux de la République.
A cet égard les vieux ont l’air de se soucier que ces jeunes ne s’encombrent guère de formules et autres élégances de politesse usuelle dans l’administration courante. On dirait qu’ils en ont eu l’expérience au quotidien en confiant aux jeunes des lettres administratives à rédiger ou en leur demandant de lire publiquement des montants en milliards. Les uns redoutent que les autres ne se trompent de formules et n’entrainent la gestion publique dans des dérapages protocolaires irréparables. Si cela arrivait ne serait-ce pas encore la faute des vieux ?
Les vieux disent souvent que les jeunes font trop de fautes en parlant le français, langue de travail en Guinée. A des niveaux officiels très élevés, on n’a pas hésité à confirmer ce constat devenu une préoccupation majeure. Le Président de la République en a donné une illustration sur la base d’une dictée appliquée récemment à des élèves d’un certain niveau dans des écoles du pays. Cette dictée est pourtant loin de ressembler à celle très célèbre de Mérimée que défiaient nombre de vieux fonctionnaires d’aujourd’hui.
Décidément, un conflit de générations semble s’ouvrir. Tout indique que ce conflit aura des dimensions socioéconomiques plus larges que d’habitude.
En tout cas, les jeunes n’ont que faire de la formule très visible au fronton de la clôture ouest du cimetière de Camayenne : « Nous étions comme vous, vous serez comme nous ». Là, ce sont les morts qui s’adressent aux vivants. Les vieux employés de l’administration guinéenne peuvent faire de même à l’adresse des jeunes guinéens pressés d’occuper leurs postes. Il reste que les petites déclarations revendicatives en direction des vieux valent bien un avertissement surtout sur le terrain très miné de l’emploi des jeunes.
Par Le Populaire