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Quand le ministère de la Jeunesse se moque de la jeunesse guinéenne !

Tribune. Sur l’échelle de Richter de la gravité, le niveau maximum est atteint lorsqu’un ministère dévoie des fonds qui appartiennent à nos jeunes en difficulté. Ce même niveau maximum est franchi lorsque le président de la République confie la gestion de ce fonds à un ministre qui l’a dévoyé (cf. Décret rendu public hier soir, 6 septembre 2019, à la télévision nationale, au sujet du fonds fiduciaire d’urgence).

Qu’il me soit permis de croire que le président de la République ne sait pas, en signant ce décret, qu’il a désormais laissé les coudées franches au loup.

De quoi s’agit-il ?

Lors du sommet de La Valette en 2015, il a été décidé de créer le FFU « en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et les personnes déplacées en Afrique » : une enveloppe de 1,8 milliard d’euros fut débloquée.

A l’époque, la Guinée n’était pas éligible. Mais deux ans plus tard, les donateurs se sont rendu compte que notre pays figure dans le peloton de tête des gros pourvoyeurs de migrants. Dès lors la jeunesse guinéenne fut éligible et sa part (65 millions d’euros) débloquée puis remise à la Guinée le 13 décembre 2017, avec pour objectifs clairs de « promouvoir des opportunités économiques et des emplois durables à destination des jeunes ; d’améliorer l’employabilité des jeunes grâce à la formation professionnelle ou de courte durée ; de soutenir le développement et le financement des entreprises et coopératives avec un potentiel entrepreneurial durable. » (voir : http://jeunesse.gov.gn/fonds-fiduciaire-durgence-annonce-importante-de-m-le-ministre-de-la-jeunesse.gn/ ).

Mais il est à constater que le contrat conclu avec l’UE est dévoyé. A titre d’exemple, au lieu d’utiliser les fonds européens disponibles (soit, 670 000 000 000 GNF) pour financer des équipements destinés à l’ « emploi jeune »

( https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/all-news-and-stories/lancement-du-projet-integra-en-guinee_en), le ministère de la jeunesse ne se gêne pas de financer ces derniers par le biais d’un crédit revolving tout en demandant aux jeunes bénéficiaires du projet de rembourser le montant du financement (Source : “Emploi jeune : des équipements pour quatre groupements de jeunes pêcheurs artisans”, Guineenews, 26 mars 2019).

Très concrètement, passer par du crédit revolving en partenariat public-privé (cf. Guineenews), pour financer un investissement lié à la politique dite « emploi jeune » (alors que le financement devait être fait en utilisant le FFU), est la preuve que le contrat avec les donateurs est dévoyé pour être détourné. Autrement dit, plutôt que de financer les équipements de ces jeunes via le fonds européen qui leur est destiné, le ministère de la jeunesse les endette par du crédit revolving.

Pire, ce type de crédit est excessivement coûteux. Il est à remarquer que le taux d’intérêt n’apparait nulle part ici, seule la durée et le montant du crédit sont mentionnés. D’ailleurs, le taux étant volontairement éludé par les représentants du ministère, cela laisse entrevoir que ce crédit revolving en partenariat public-privé est signé dans des conditions floues qui condamnent à régler, durant les 28 mois à venir des frais financiers exorbitants à son partenaire marchand, avec des clauses multiples qui sont toujours en faveur de l’organisme de crédit (car le contrat de crédit revolving est un contrat d’adhésion).

Cela dit, les cadres du ministère de la jeunesse ne peuvent pas ignorer que le crédit revolving est connu pour mener son bénéficiaire vers le surendettement. C’est pourquoi, en France par exemple, la loi prévoit que lorsqu’un crédit est supérieur à mille euros, le banquier a l’obligation d’informer l’emprunteur de la possibilité de souscrire un prêt amortissable qui est évidemment moins coûteux, notamment en Guinée.

Il est donc inconcevable d’endetter nos jeunes avec du crédit revolving, alors qu’il aurait fallu utiliser les 670 000 000 000 GNF du FFU qui est l’instrument financier de l’engagement de l’UE à l’égard de nos jeunes. Ce, depuis le 4 février 2017, date à laquelle la Guinée fut éligible au FFU[1] et donc au dispositif européen de financement des projets PNISEJ[2], INTEGRA[3], etc.

Ce grave détournement du FFU, à ciel ouvert, que je viens d’illustrer (mais qui est méconnu par nos jeunes qui ne savent même pas que ce dispositif d’aides financières est leur propriété), confirme la nécessité de supprimer les intermédiaires dans l’aide publique. Ce qui m’inquiète dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Mouctar Diallo » c’est qu’en faisant irruption sur le marché du crédit, via son partenaire privé, il provoque aussi ce que les économistes appellent effet d’éviction des PME.

Je reviendrai sur ce scandale dans mon prochain livre à paraître en novembre 2019. Ce, pour informer plus largement les guinéens et les partenaires européens qu’il est illusoire de réduire la pauvreté (et par conséquent, la migration irrégulière qui y tire sa sève) en ayant pour « interface » (cf. décret) un ministre qui étrangle nos jeunes par de la dette. Et si ces derniers ne parviennent pas rembourser, une vague encore plus forte de migrants reprendra le chemin de la Méditerranée ou des barbelés de Ceuta et Melilla. Il y a fort à parier cela.

Il est donc temps de recadrer ceux qui s’amusent avec l’argent des jeunes tout en les flouant par de la dette qu’on leur exige de rembourser. Quel cynisme !

 

Ibrahima BAH

Docteur en Sciences Économiques et écrivain

Auteur de manuels scolaires en Economie, en Droit du travail et en Mercatique, éditions Ophrys

[1] Mais les fonds ont été débloqués le 13 décembre 2017.

[2] Programme National d’Insertion Socio-économique des Jeunes.

[3] Programme d’Appui à l’Intégration Socio-Economique des Jeunes.

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