En prélude à la visite du président congolais en France, les deux dirigeants choisissent d’éviter les dossiers qui fâchent notamment le vieux dossier de «l’affaire des biens mal acquis» qui avait refroidi les relations entre les deux pays.
La page des relations pour le moins tendues, sinon tumultueuses qu’a connu la France et le Congo ces dernières années au sujet de l’affaire des «biens mal acquis» où sont également cités le Gabon et la Guinée équatoriale est-elle en phase d’être définitivement tournée ? Selon toute évidence, la visite de travail de trois jours qu’effectue le président congolais Dénis Sassou Nguesso dès le 3 septembre 2019 dans l’Hexagone, à l’invitation de son homologue français, Emmanuel Macron, laisse entrevoir un nouveau départ dans le ciel des relations diplomatiques entre Paris et Brazzaville.
Un «réchauffement» dont semble se satisfaire les deux dirigeants pour des intérêts stratégiques, certes à connotation individuelle. Après une «brouille» observée ces dernières années surtout lorsque François Hollande était au pouvoir où à plusieurs reprises, l’on avait enregistré des dissonances sur certains dossiers sensibles entre les deux pays, le temps de la réconciliation dictée par la realpolitik a sonné. Paris a pesé de toute son influence dans la signature, le 11 juillet 2019, de l’accord entre le Congo et le FMI.
Sous réserve de changement, l’agenda de cette visite de travail met un point d’honneur sur des sujets ne relevant que peu ou prou directement des relations bilatérales entre la France et le Congo. Officiellement, ne figure pas à l’ordre du jour, «l’affaire des biens mal acquis» où le président congolais et ses proches sont nommément cités d’atteinte à la fortune publique. Cette affaire au centre de la brouille entre les autorités des deux pays où l’on a enregistré des condamnations est toujours pendante devant les juridictions françaises.
Autre dossier sensible que les deux dirigeants ne souhaitent pas aborder, c’est l’élection présidentielle de 2021 qui pourrait pourtant se tenir dans un contexte tendu, voire explosif avec des conséquences sociales imprévisibles. D’ailleurs, l’opposition congolaise s’attend à ce que «tous les partenaires du Congo et notamment la France pèsent de tous leurs poids pour l’organisation des élections justes, libres et équitables». Paris l’entendra-t-il de cette oreille ? Voire.
Last but not least, le respect des droits humains tient à cœur de nombreux congolais au moment où le pouvoir est accusé d’avoir orchestré des procès politiques contre des opposants dont certains ont écopé de lourdes sanctions au terme «des procès iniques dont le verdict était connu d’avance», souligne-t-on.
Dans ce contexte, cette visite de Sassou Nguesso donne le sentiment de son «adoubement» par le locataire de l’Elysée. Encore que, hormis des accords bilatéraux concernant les secteurs de l’éducation et de la santé qui devraient être paraphés, la visite se fera sous le signe de la protection de l’environnement. Une disposition importante aux yeux du congolais qui assure la présidence de la Commission climat du Bassin du Congo et du Fonds bleu pour le Bassin du Congo, zone constituant la deuxième réserva écologique du monde après l’Amazonie.
Pétrole et environnement
Il convient de souligner que ledit accord est le prolongement des résolutions du Sommet mondial sur le climat, la COP21, tenue en 2015 à Paris et dont le Congo ainsi que l’ensemble des pays de la région sont signataires. Reste à savoir si les engagements pour le climat résisteront longtemps enjeux économiques liés à l’exploitation pétrolière du “Delta de la Cuvette”. Le 10 août dernier, la Société africaine de recherche pétrolière et distribution (SARPD-Oil) et la société Petroleum Exploration & Production Africa (PEPA), ont annoncé la découverte d’un gisement de 9 392 mètres carrés dans cette région du nord du Congo.
Grâce à cette découverte (à confirmer par ailleurs), le Congo devrait produire 983 000 barils par jour. Reste à concilier l’exploitation pétrolière et le souci environnemental d’une zone du Bassin du Congo devenue un dossier lourd dans les relations internationales. L’ONG Greenpeace appelle à “l’annulation de tous les blocs pétroliers dans la forêt humide de la République du Congo”.
Le gisement de la “cuvette” est situé près d’une zone abritant des tourbières qui séquestrent du carbone et jouent un rôle important dans la lutte contre le changement climatique. “Le Congo reste parfaitement attentif et conscient de la nécessité de préserver les tourbières, au regard de leur incidence sur l‘équilibre climatique mondial et la protection de la biodiversité”, a assuré le 15 août le président Sassou Nguesso dans un message radiotélévisé à la nation. L’homme fort de Brazzaville traitera de cette question importante pour l’avenir de son pays avec son homologue français.
L’élection présidentielle en ligne de mire
Visiblement sur le sceau du multilatéralisme, cette visite devrait permettre également à Emmanuel Macron et à Denis Sassou Nguesso de plancher sur le cas libyen tant il est vrai que ce dernier assure la présidence du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye. D’après des sources, la France qui se voit distancer dans la gestion du dossier libyen par d’autres puissances dont la Russie aimerait revenir au-devant de la scène en s’appuyant sur l’Union africaine.
Dans ce contexte, le président congolais apparaît comme un allié sûr devant permettre à Paris de rebondir. La recherche de ce soutien africain conforte la thèse selon laquelle le président français a choisi d’éviter tout sujet qui pourrait fâcher son hôte.
Quoi qu’il en soit, l’on est au moins d’accord qu’il s’agit là d’une autre manière de perpétuer la Françafrique, qui, au-delà du discours officiel annonçant son démantèlement ou sa mort, ne s’est jamais aussi bien porté. Une politique «tutélaire» de la France favorisée par le maintien de fidèles alliés au pouvoir permettant à une France économiquement en crise et diplomatiquement à la traîne, non seulement devant les Etats-Unis, mais dans une moindre mesure la Chine et la Russie, de pérenniser sa main mise sur son pré-carré où l’ex métropole n’en tire pas moins de nombreuses ressources.
Voilà qui pousse certains analystes à suggérer aux autorités françaises de «n‘éluder aucun sujet qui fâche» pendant cette visite du président congolais et d’aborder des sujets liés à la démocratie, la bonne gouvernance et les droits humains, où il ne manque ni à dire, ni à faire.
En clair, Denis Sassou Nguesso qui compte déjà près de trente-cinq ans cumulés au pouvoir en deux passages à la tête du pays semble loin de la retraite. Selon ses partisans, le «sphinx» d’Oyo entend se représenter lors de la prochaine élection présidentielle en 2021 après avoir modifié la Constitution et enleveé le verrou limitant le nombre de mandats.
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