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La Guinée se souvient des  vingt ans, de  Fodé et Yaguine qui s’envolaient pour l’Europe

Août 1999: cet officier de la police belge montre les cartes d’identité des deux enfants. Fodé et Yaguine sont morts dans le train d’atterrissage d’un avion reliant Conakry à Bruxelles, le 2 août 1999.

Il y a vingt ans, la lettre de Fodé et Yaguine, adressée aux dirigeants européens, émeut le monde entier. Avec leur vocabulaire juvénile, en porte-paroles de la jeunesse guinéenne, ils dépeignent leurs difficultés mais surtout leurs rêves et espoirs d’une vie meilleure. Le 2 août 1999, les corps des deux amis sont retrouvés dans le train d’atterrissage d’un avion Conakry-Bruxelles.

C’est probablement le cœur tremblant que Fodé et Yaguine partent en direction de Gbessia, l’aéroport de Conakry à l’été 1999. Quelques jours plus tôt, dans la chambre de l’un des deux jeunes, ils imaginent une lettre. Leurs brouillons seront retrouvés plus tard par le père de l’un d’entre eux.

« Je les avais surpris en train d’écrire mais je ne savais ce qu’ils faisaient », se rappelle Liman Koïta. Son fils Yaguine lui annonce qu’il va s’absenter quelques temps pour aller voir sa grand-mère en ville. Il ne reviendra jamais à la maison.

Le 2 août 1999, les cadavres des inséparables sont découverts dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena, l’ancienne compagnie aérienne belge. À leurs pieds, deux certificats de naissance et une lettre, adressée aux dirigeants européens. « Messiers les membres et responsables d’Europe, c’est à votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant », écrivaient-ils en date du 29 juillet 1999. Publié ensuite dans la presse internationale, cet appel au secours a ému le monde entier. Derrière leurs mots d’adolescents, un message politique fort : ils dépeignent une génération de jeunes Africains sans avenir mais avec l’espoir de venir en Europe pour apprendre et pour changer leur pays.

Vingt ans plus tard…

« Ça n’a pas eu d’effet. En ce moment, dans les années 1999-2000, cette lettre a fait un peu trembler les gens mais ensuite ils ont tout oublié », poursuit Liman Koïta. S’il y a vingt ans, les Guinéens étaient loin d’être les premiers à emprunter la route migratoire, depuis 2015, leur nombre ne cesse de croître. Les demandes d’asile guinéennes ont augmenté en France de 40 % en une année, de 2016 à 2017. Un an plus tard, en 2018, les ressortissants de ce pays d’Afrique de l’Ouest étaient même la première nationalité parmi les mineurs non accompagnés. Cette explosion du nombre de jeunes risquant leur vie pour atteindre l’Europe, Mohamed Camara de l’ONG Iday à Conakry, ne se l’explique pas. Il n’y a pas eu de bouleversements politiques majeurs et « la Guinée est un pays très riche : on la bauxite, l’or, le diamant. On peut cultiver, on peut faire tout ce que l’on veut. Mais c’est parce que les jeunes n’ont pas à l’esprit que c’est possible ici. (…) C’est dans l’éducation qu’il faut beaucoup plus s’impliquer. »

L’accès à l’éducation, c’était d’ailleurs le principal message de Yaguine et Fodé. « S’il n’y a rien au pays, les enfants le quittent », s’indigne encore Damaye Kourouma, la mère de Fodé. Selon la banque mondiale, le taux d’alphabétisation a très légèrement augmenté. De 20 % en 1996, seulement 32 % de la population savait lire et écrire en 2014.

Un rêve d’Europe, une source d’inspiration

La triste aventure de Fodé et Yaguine a fait le tour du monde et a animé de nombreux artistes et œuvres. En 2005, le cinéaste guinéen Gahité Fofana fait de la voisine de Yaguine la narratrice d’un conte nostalgique, dans son film Un matin bonne heure. Ce destin brisé a aussi inspiré un autre réalisateur italien, Paolo Biancini dans Il sole dentro.

Cette histoire a servi de point de départ à Hakim Bah pour écrire une fiction tragique. Dans sa pièce de théâtre À bout de sueurs, Binta quitte son mari pour aller rejoindre un autre homme, ses enfants décident de s’engouffrer dans un train d’atterrissage pour la rejoindre. « L’envie est venue de ce fait divers. Ce qui m’intéressait surtout c’était de raconter l’histoire de ces enfants en passant par la famille : le père, la mère et les voisins ou la ville », raconte l’auteur guinéen. Un autre dramaturge togolais, Kangni Alem évoque cet effroyable fait divers dans sa pièce Atterrissage.

La figure de Fodé et Yaguine apparaît également dans une pièce du chorégraphe Raimund Hoghe, Jeter son corps dans la bataille. Dansla toile Nage Icare, l’artiste Hassan Musa peint des jambes nus en contraste avec le train d’atterrissage métallique d’un avion, en référence à jeunes guinéens et aux morts en Méditerranée.Enfin, le chanteur John Legend, dans son titre populaire Show me, lors d’une campagne contre la pauvreté rend hommage à ces deux jeunes.

A Conakry, à Bruxelles ou partout sur la planète, personne ne semble avoir oublié le rêve brisé de ces adolescents de quatorze et quinze ans. Malgré tout, les Guinéens étaient, l’année dernière, 6 454 à demander l’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Certainement beaucoup plus à avoir tenté  le chemin du désert puis de la méditerranée en vue d’atteindre les côtes européennes. Aucune statistique ne permet d’affirmer combien d’entre eux y ont laissé leur vie.

 

Afriquevision avec RFI

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