En Guinée, tous les signaux sont au rouge depuis que le président Alpha Condé, 81 ans, a décidé d’engager son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), et son gouvernement, dans le projet d’une nouvelle Constitution pour une nouvelle République.
Pourquoi vouloir un nouveau texte et non une simple révision constitutionnelle ? Pourquoi attendre la fin de son second mandat pour entreprendre de telles démarches ? Aucune réponse claire n’est apportée par le clan au pouvoir. Une chose est sûre : une nouvelle Loi fondamentale pourrait permettre à Alpha Condé de se représenter à la prochaine élection présidentielle, prévue pour 2020, ce que lui interdit la Constitution actuelle.
En toile de fond : les enjeux financiers extrêmement importants que représente l’argent généré par la bauxite et d’autres minerais, auxquels s’ajoute la peur d’un clan de perdre le pouvoir en 2020. Selon l’article 27 de la Constitution, « la durée [du mandat présidentiel] est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
Or, Alpha Condé – élu une première fois en 2010 puis réélu en 2015 – achèvera son deuxième et dernier mandat en 2020. Il est impossible de modifier l’article 27 en cas de révision constitutionnelle car « le nombre et la durée des mandats du président ne peuvent faire l’objet d’une révision » (article 154). Reste alors une seule possibilité : réécrire une nouvelle Constitution, faire accepter ce projet par le Conseil constitutionnel, passer par l’avis consultatif des députés, puis organiser un référendum afin que le peuple valide le texte.
Contre un troisième mandat d’Alpha Condé
Depuis des mois, ministres et conseillers du gouvernement sont très présents dans les médias et auprès des populations pour plaider en faveur de ce projet. Alpha Condé, sans s’être prononcé clairement sur le sujet, semble avoir décidé de lancer la campagne pour la nouvelle Constitution, tout en analysant les signaux en retour, afin de pouvoir faire marche arrière si la situation ne lui était plus favorable.
Le risque d’une montée des tensions politiques est réel dans le pays. Le 3 avril, des opposants, des syndicalistes et des membres de la société civile ont créé le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Ses membres commencent à être intimidés. Le 3 mai, sept d’entre eux ont été interpellés à Kindia pour avoir organisé une manifestation contre un troisième mandat du président. Condamnés à trois mois de prison ferme pour « troubles à l’ordre public », ils ont été relaxés en appel.
Deux jours après que le RPG se soit officiellement prononcé pour le changement de Constitution, plusieurs associations de défense des droits humains, inquiètes d’une possible déstabilisation du pays, ont exprimé le 20 mai leur désaccord et indiqué qu’un tel projet conduirait à des violences politiques. Le même jour, le ministre de la justice, Cheick Sako, a adressé une lettre de démission au président, justifiant sa décision par son opposition à ce projet.
Depuis 2010, les manifestations ont été régulièrement réprimées, causant la mort de près de 100 personnes selon l’opposition. A ce jour, les autorités guinéennes, en dépit de leurs promesses répétées, n’ont pas réussi à mettre un terme à l’usage des armes létales par les forces de sécurité lors de manifestations, de même qu’aucun responsable de décès par balles n’a été jugé. Aux violences des forces de sécurité, s’ajoutent celles des manifestants qui ont tué au moins deux agents des forces de l’ordre ces deux dernières années. Depuis novembre 2018, les principaux axes de Conakry sont protégés par des militaires, réduisant la capacité de l’opposition à mener des manifestations dans la capitale.
Des affrontements se profilent à l’horizon
Dans ce contexte, plusieurs observateurs craignent une éventuelle instrumentalisation de la loi portant prévention et répression du terrorisme (encore au stade de projet), au champ d’application mal défini, qui pourrait restreindre plus encore la liberté d’expression et de manifestation des opposants au président.
Alpha Condé, qui s’enorgueillit régulièrement de s’être battu toute sa vie pour la démocratie, se pose aujourd’hui en défenseur de l’Afrique et de la Guinée face au néocolonialisme des Occidentaux, de leurs médias, des ONG et de leurs éventuelles critiques vis-à-vis de ce projet de nouvelle Constitution.
Des affrontements se profilent à l’horizon, car les pro et les anti nouvelle Constitution semblent déterminés à aller jusqu’au bout. Il n’est pas inenvisageable que le scrutin présidentiel de 2020 soit reporté, permettant ainsi que des élections législatives et un référendum portant sur la nouvelle Loi fondamentale, le précédent. Que ferait l’armée en cas de forte dégradation de la situation politique ?
Pour éviter l’apparition d’un nouveau foyer d’instabilité en Afrique de l’Ouest et le risque d’une propagation dans les pays voisins, notamment en Côte d’Ivoire – qui va également connaître une élection présidentielle potentiellement difficile en 2020 –, il est important que les partenaires de la Guinée sortent de leur silence et déconseillent au président Alpha Condé de se maintenir au pouvoir à travers une nouvelle Constitution qui viole la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine (ratifiée en 2011 par la Guinée), et les principes fondamentaux de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Il est encore temps de faire marche arrière pour éviter le chaos.
Clément Boursin
Responsable des programmes Afrique à l’ACAT France