CHRONIQUE. Le massacre d’Ogossagou dit beaucoup de l’opposition, voire de l’animosité entre ethnies en Afrique. Ici, entre Dogons et Peuls. Plus que jamais, cela mérite réflexion. Pour le Mali. Pour l’Afrique, aussi.
On achève bien les chevaux dans le film de Sydney Pollack. On achève bien les symboles dans notre Afrique biaisée où plus rien n’a de sens. Cela commence au Rwanda, le seul (avec son frère jumeau burundais) État-nation du continent. On y parlait la même langue, croyait au même dieu, Imana, et pratiquait la même religion chrétienne, apportée par les colons, bref, le seul de nos pays à avoir parachevé son unité. Cela n’a pas empêché le génocide de 1994 : 1 000 000 de Rwandais morts par la bêtise de quelques-uns ! Aujourd’hui, c’est le tour du Mali, ce vieux pays dont nous sommes tous issus et qui fut pendant des siècles un modèle de diversité ethnique et raciale. D’où cela vient-il, notre propension à nous mépriser et à nous trucider, bref à faire le sale boulot à la place de nos pires ennemis ? Est-ce le traumatisme du passé, est-ce le laxisme sans pareil de nos guides bien-aimés et de nos présidents-professeurs ? Le traumatisme du passé, on finira bien par s’en guérir en revanche, l’incurie de nos dirigeants, elle nous mènera tous, droit au tombeau.
Hier au Rwanda, aujourd’hui au Mali : les mêmes criminelles manipulations, le même raccourci malsain du discours ! À Kigali, les victimes englobaient les Tutsis (tous les Tutsis !) et les Hutus modérés comme si le reste des Hutus étaient tous extrémistes, congénitalement génocidaires. Au Mali, ce serait une guerre entre Dogons et Peuls : les premiers, criminels et revanchards, les seconds, djihadistes et coupeurs de gorges. On sait depuis La Voix de la Révolution et Radio Mille Collines combien, chez nous, les mots peuvent tuer, plus toxiques que la ciguë, plus mortels que les balles. Méfions-nous du discours politique, cette langue de bois qui nous jugule, ce redoutable opium de nos peuples. Ne nous laissons pas égarer ! Le tribalisme et l’intégrisme islamique ne sont pas les causes de nos malheurs, ce sont les effets nocifs de la mal-gouvernance. La bonne gouvernance, la vraie – je veux dire le goût de l’équité et le souci de l’humain – tend à gommer le fanatisme, ethnique, racial et religieux. La diversité se vit mieux quand le chef du village ou de l’État a plus gros dans la tête qu’un grain de fonio.
Certes, aucune société ne baigne dans la quiétude et dans l’harmonie. Porteuse comme les autres de différences et de contradictions, l’Afrique a traversé les siècles, accablée de tourments et de convulsions. Cela, mon cousin dogon, Yambo Ouologuem, l’a génialement exprimé dans son roman, Le Devoir de violence. Tout groupe humain, fût-ce la cellule familiale, est un sac à problèmes. Et si l’on passe tant de temps à désigner des prêtres et des marabouts, et des sénateurs et des présidents, c’est bien pour les contenir au moins, à défaut de les abolir. Et c’est là tout le problème : qui prend en charge, aujourd’hui, les questions de l’Afrique ? Des leaders sans légitimité et sans consistance,
qui aggravent nos problèmes au lieu de les diminuer ! Des hommes liges au service d’intérêts étrangers, antagonistes aux nôtres, et qui n’ont rien pour l’Afrique, même pas le respect et l’affection !
Y a-t-il un État malien ? C’est la seule question qui vaille ! Si oui, où est-il ? Nous sommes en droit de nous demander cela. Gao, Tombouctou et Kidal échappent à l’autorité de Bamako. Sans la France et son opération Barkane, sans la Minusma, toutes les localités du Nord seraient aujourd’hui sous la coupe des barbus. Au Centre, le chef de la Katiba Macina vit toujours en dépit des affirmations infondées du gouvernement malien, appuyées qui plus est par une déclaration solennelle de la ministre française de la Défense nationale au Palais-Bourbon ! Un État incapable d’arrêter un certain Amadou Koufa, un État qui sous-traite sa sécurité nationale à un groupuscule informel et incontrôlable comme Dan Na Ambassagou mérite-t-il encore ce nom ?
In lepoint, Par Tierno Monénembo écrivain
* 2017, grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre ; 2013, grand prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour Le Terroriste noir ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et grand prix du roman métis pour Le Terroriste noir ; 2008, prix Renaudot pour Le Roi de Kahel; 1986, grand prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour Les Écailles du ciel.