D’après le « Wall Street Journal », la CIA a intercepté 11 messages envoyés par le prince héritier à l’homme qui a supervisé l’assassinat du journaliste saoudien. La première apparition sur la scène internationale du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane depuis l’affaire Khashoggi a été un indéniable succès.
Deux mois après l’assassinat du journaliste saoudien critique au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, dont la CIA estime qu’il a été commandité par le jeune prince, celui que l’on appelle par ses initiales, MBS, loin de se retrouver isolé au sommet du G20 organisé à Buenos Aires, a été au contraire chaleureusement accueilli par la vingtaine de chefs d’État et de gouvernement présents en Argentine.
Deux scènes, captées par les caméras sur place, ont particulièrement marqué les esprits. Tout d’abord celle du président russe Vladimir Poutine, tout sourire, saluant d’un « check » appuyé à l’américaine le prince de 33 ans.
Puis un face-à-face plus sérieux, en marge du sommet, entre le président français Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane au cours duquel le premier avoue au second « être inquiet » et de lui reproche de ne « jamais (l) » écouter ». Erdogan ne croit pas la version du prince.
À en croire l’Élysée, le chef de l’État aurait pressé le prince héritier d’accepter que des experts internationaux soient associés à l’enquête sur la mort de Jamal Khashoggi, ce que refuse pour l’heure Riyad. « Car, je vous l’ai dit, cela vous protégerait davantage », insiste Emmanuel Macron dans la vidéo, sans qu’il soit possible d’établir un lien formel entre les deux phrases.
À chaque conseil présidentiel, MBS répond par un sourire appuyé, qui trahit un embarras certain. Seul moment du sommet où le dirigeant saoudien perdra son sourire de façade, lorsqu’il croisera le regard du président turc Recep Tayyip Erdogan, à l’origine des multiples révélations fragilisant la défense du prince et qui soutient que l’ordre de tuer Jamal Khashoggi émane des « plus hauts niveaux » du pouvoir en Arabie saoudite.
À en croire le maître d’Ankara, Mohammed ben Salmane aurait fourni une « explication difficilement croyable » lorsque le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a été le seul chef de gouvernement à aborder l’affaire Khashoggi durant la réunion des dirigeants du G20. Bras droit de MBS Mais voilà que, le sommet terminé, de nouvelles révélations viennent serrer, une fois de plus, l’étau autour du prince héritier saoudien.
D’après le Wall Street Journal, la CIA aurait intercepté onze messages électroniques envoyés par MBS à son plus proche conseiller, Saoud al-Qahtani, avant et après l’assassinat de Jamal Khashoggi. Or al-Qahtani, ancien « conseiller média » et bras droit de MBS, n’est autre que l’homme qui a supervisé l’équipe de quinze Saoudiens envoyée à Istanbul pour abattre le journaliste critique.
D’après l’agence de presse Reuters, c’est lui qui, depuis Riyad, a donné ses ordres via Skype à Maher Mutreb, chef du commando chargé d’éliminer Jamal Khashoggi. Directeur adjoint de l’Agence nationale du renseignement, Saoud al-Qahtani sera démis de ses fonctions par le roi Salmane le 20 octobre… avant de retrouver son ancien poste de président de la Fédération saoudienne pour la cybersécurité, la programmation et les drones. Se basant sur des estimations « hautement classifiées » et d’autres informations clandestines obtenues par la CIA, le Wall Street Journalaffirme que l’agence américaine du renseignement n’est pas en mesure de décrire le contenu des messages échangés entre MBS et al-Qahtani, ainsi que le vecteur par lequel ils auraient été envoyés.
En revanche, elle a intercepté une autre communication, datant cette fois d’août 2017, dans laquelle le prince héritier aurait indiqué à ses conseillers que, si les efforts visant à convaincre Jamal Khashoggi de rentrer au royaume s’avéraient vains, alors ils pourraient « éventuellement l’attirer en dehors d’Arabie saoudite et (s’) arranger avec lui ».
Un message qui, d’après l’agence, « semble annoncer l’opération lancée contre Khashoggi ». Néanmoins, ajoute le Wall Street Journal, la CIA n’est pas en mesure de confirmer si ce dernier message a été directement émis par MBS ou si c’est un subalterne qui a décrit le souhait du prince héritier.
Trump contre la CIA À n’en pas douter, ces nouvelles révélations de la CIA viennent fragiliser la position du prince héritier, blanchi par la justice saoudienne dans l’enquête sur le meurtre de Jamal Khashoggi. Le 15 novembre dernier, le porte-parole du procureur général a annoncé que le meurtre du journaliste, pour lequel onze personnes ont été inculpées et cinq condamnées à mort, n’était pas prémédité, évoquant au contraire une opération qui a mal tourné (Riyad a toutefois confirmé que le corps de Khashoggi avait été démembré, NDLR). Or, dès le lendemain, le Washington Post, le quotidien qui employait Jamal Khashoggi, a publié un rapport de la CIA impliquant le prince héritier dans le meurtre du journaliste saoudien.
Se basant sur des interceptions téléphoniques, des enregistrements sonores du meurtre fournis par la Turquie, ainsi que sur sa connaissance de la structure du pouvoir en Arabie saoudite (MBS concentre entre ses mains tous les pouvoirs, NDLR), l’agence américaine avait conclu que Mohammed ben Salmane avait commandité le meurtre du journaliste saoudien, non sans ajouter manquer de preuve formelle indiquant que le prince héritier avait effectivement donné l’ordre de le tuer.
« Il se pourrait très bien que le prince héritier ait eu connaissance de cet événement tragique – peut-être, peut-être pas ! » avait alors répondu Donald Trump, soulignant au contraire que l’agence américaine de renseignements n’avait « rien trouvé d’absolument certain ».
À cette occasion, le président américain avait réaffirmé son soutien inébranlable à l’Arabie saoudite, allié essentiel de Washington dans sa lutte contre l’Iran et grand acheteur d’armes américaines.
Après ces nouvelles révélations, le Wall Street Journal affirme que la CIA a aujourd’hui une confiance « moyenne à élever » sur le fait que Mohammed ben Salmane ait
« Personnellement visé » Jamal Khashoggi et ait « probablement ordonné sa mort », sans pour autant disposer une nouvelle fois de « preuve directe ». Cela sera-t-il suffisant pour contraindre le pensionnaire de la Maison-Blanche à réviser son jugement ?
Source : Le Point.fr