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La loi de Finances en français facile (partie II)

Dans cette seconde partie, nous allons traiter des enjeux de la Loi de Finances et des questions de déficit budgétaire, une des maladies des Etats qui, si elle est mal traitée, gangrène toute l’économie nationale. 

La Loi de Finances : quels enjeux ?

Nous avons vu dans un article antérieur que la Loi de Finances détermine, pour un exercice [en Guinée, une année civile], la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte.

En quoi le projet de Loi de Finances est si important ? La Loi de Finances est importante pour deux raisons :

C’est un acte de prévision, c’est-à-dire que l’on peut avoir, à partir du budget, une projection de la situation financière de l’Etat et ainsi anticiper les politiques économiques qui seront initiées.

C’est un acte d’autorisation, c’est-à-dire qu’aucune dépense ou recette n’est légale si elle n’est pas inscrite en Loi de Finances, donc adoptée par les parlementaires. [1]

Parmi les indicateurs analysés par les spécialistes pour anticiper les politiques publiques futures, figure en première ligne le déficit budgétaire.

C’est quoi le problème avec le déficit  budgétaire ?

Avant de revenir sur les problèmes engendrés  par le déficit budgétaire, il est important de définir cette notion. On parle de déficit, lorsque les dépenses sont supérieures aux recettes. [2] Le déficit représente donc un besoin de financement des administrations publiques. Il survient souvent lors des périodes de récession. En période faste, donc de croissance, l’Etat comme les acteurs privés (ménages ou entreprises) ne dépenserait pas plus que ce qu’il gagne [3].

La théorie keynésienne [4] enseigne qu’à défaut d’inciter les entreprises à investir en période de crise, c’est à l’Etat d’investir pour relancer l’économie et la croissance. L’idée est que les grands projets de l’Etat vont permettre de relancer l’emploi, la consommation et enfin l’activité économique des entreprises. Ainsi, en général, les Etats en récession s’autorisent des dépenses d’investissement plus importantes que les recettes avec à termes une projection de couverture de ces dépenses de trois (3) manières :

  1. Soit en augmentant les impôts. C’est la méthode la plus simple théoriquement mais la plus difficile politiquement à assumer. Car une augmentation des impôts risque de fragiliser la compétitivité des entreprises et elle est rarement appréciée des ménages. De ce fait, une telle augmentation conduit souvent à des graves crises sociales et politiques dans les pays en développement en raison des conditions de vie déjà difficiles (faiblesse des revenus) et de la fragilité des institutions.
  2. Soit en demandant de l’aide extérieure. La difficulté avec les appuis extérieurs est qu’il faut cibler des projets bien précis pour être éligible à la demande. Il arrive que ces projets ciblés par les bailleurs ne cadrent pas avec les priorités du pays bénéficiaire. En plus, l’aide est assortie de conditionnalités, c’est dire que les partenaires techniques et financiers (PTF) vont exiger des garanties sur leurs investissements, donc demander à l’Etat d’appliquer une certaine politique économique. Et en général, cela revient de manière déguisée à augmenter les impôts et à réduire certaines dépenses sociales. Donc, il y a un risque important pour les pays en déficit de se retrouver dans un « cycle infernal ».
  3. Soit par l’emprunt. La contrainte avec l’emprunt vient de la charge financière supplémentaire que l’Etat devra supporter, mais pas que. Ici aussi les conditionnalités fixées par les créanciers, comme pour l’aide, risquent de placer le pays déficitaire dans un « cycle infernal » en conduisant l’Etat à consacrer une part de plus en plus importante du budget au remboursement des intérêts dans les années à venir.

C’est quoi le cycle infernal ?

Pourquoi, parle-t-on de « cycle infernal » ? Partons d’un contexte de ralentissement de la croissance ou récession marqué par un déficit public : on va dire la Guinée de 2015. Si on augmente les impôts pour des entreprises déjà fragiles, l’Etat va alourdir leurs charges. Pour survivre, ces entreprises vont supprimer des emplois et ralentir leurs investissements. Cela conduit à termes à une baisse de la consommation et des activités. L’économie nationale perdra ainsi en productivité et en compétitivité.

Aussi, des entreprises et des particuliers fragilisés par les hausses d’impôts risquent à termes de ne pas honorer les payements que l’Etat leur demande. L’Etat pourrait ainsi se retrouver en faillite, c’est-à-dire être sans ressources pour honorer ses engagements. Il faut donc être extrêmement vigilant dans la gestion des déficits.

C’est un tel cycle qui est redouté par le secteur privé national et étranger et par les partenaires techniques et financiers, notamment le FMI.

Que faire contre le déficit ?

S’il est vrai que le déficit, c’est-à-dire dépenser plus que ce que l’Etat dispose, permet de relancer l’activité économique, c’est un instrument à utiliser de manière temporaire. Ça doit être également un outil contrôlé. Quand le déficit devient problématique, il va falloir prendre des mesures :

  • La première est d’équilibrer le budget, c’est-à-dire que l’on ne dépensera que ce que l’on pourra effectivement mobiliser en recette.
  • A défaut, il faut maitriser ce déficit. C’est le cas de l’UEMOA ou` l’on essaye de limiter le déficit à 3% du PIB (zone Cfa d’Afrique de l’Ouest).

Un des axes majeurs du programme avec le FMI est la maitrise de ce déficit. Cela conduit régulièrement l’Etat à maitriser les dépenses afin de les aligner au niveau des recettes : il s’agit souvent des régulations budgétaires si impopulaires et si critiquées dans les médias.  Les médias utilisent souvent les termes de « coupes budgétaires ». La nécessité de prendre de telles décisions, pourtant prévues par la loi, explique une bonne partie de l’impopularité des Ministres en Charge des Finances et de Budget auprès de leurs homologues ou auprès de l’opinion nationale.

Et si les députés disaient non ?        

Une fois que le Gouvernement a fini de préparer le budget et l’a soumis au Parlement, les Députés peuvent dire non avec des propositions d’amendements. Dans ce cas, ils proposent des amendements.  Dans le cas d’un refus sans amendements,  il y a un risque au niveau des dépenses car tout serait interdit (pas de salaires payés, pas de dettes remboursées, pas d’investissements possibles, …). La collette des recettes devient également illégale (aucune possibilité de prélever l’impôt, de contracter des emprunts ou de  demander une quelconque aide extérieure, …).

Heureusement, quand les députés refusent les propositions qui figurent dans la loi de finances, ils doivent faire des amendements. La constitution prévoit en ses articles 75 et 76 également des possibilités pour l’exécutif de prendre des ordonnances si le budget n’est pas voté dans les délais par l’Assemblée Nationale.

Et après ?

Le cycle décrit plus haut correspond au cycle préparatoire, avec passages au Parlement, qui se déroule de novembre à décembre de l’année N. De janvier à décembre de l’année N+1, le budget est exécuté.  C’est pourquoi le budget est préparé en l’année N pour être exécuté en l’année N+1.

Toutefois, en cas d’insuffisance de ressources sur certaines lignes budgétaires, l’Etat peut procéder à des mouvements règlementaires de crédits: supprimer des crédits sur certaines lignes pour en compléter d’autres. Dans ce cas, l’Etat soumet au parlement une Loi de Finances Rectificative en cours d’année pour des fins de régularisation.

Et puis, à la fin de l’exercice budgétaire, le contrôle est effectué par le Parlement.  Ce contrôle est exercé par les députés à travers la Loi de Règlement. Si la Loi de Finances ne contient que des sommes prévisionnelles, la Loi de Règlement contient l’état réel des dépenses et des recettes qui ont été réalisées. Cette Loi doit approuver la gestion et l’exécution du budget par les services de l’Etat. L’objectif est de permettre aux députés de vérifier la bonne gestion du budget. Le vote de la Loi de Règlement intervient entre janvier et juin de l’année N+2.

Le dépôt d’un projet de loi de Règlement pourrait constituer un bon objectif  à court ou moyen terme de l’équipe économique du Gouvernement. Souhaitons que cette équipe puisse l’atteindre !

 

Mamadou BARRY, Économiste, Ph.D

Assistant du Ministre du Budget

Expert en Gouvernance économique

Chercheur Associé au CLERSE- Université Lille1.

mbarry@mbudget.gov.gnmamunbar@yahoo.fr

 

[1] Toutefois, il y a des dépenses hautement nécessaires ou importantes non prévisibles qui doivent être couvertes : catastrophes naturelles, apparition d’épidémies comme ce que nous avons vécu récemment avec Ebola en Guinée.

[2] On parle aussi de solde budgétaire négatif. La notion de déficit public est proche de celle de déficit budgétaire : elle se réfère non pas au seul Etat central, mais à l’ensemble des administrations publiques (incluant les collectivités locales, les administrations de sécurité sociale, etc.).

[3] Il faut savoir toutefois que pour les pays en développement les besoins d’interventions publiques sont tels que ces Etats sont souvent en déficit.

[4] Il s’agit d’une théorie née dans les années 1930, période crise économique majeure dans les pays industrialisés de l’époque.

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