Tribune. Après la réélection contestée d’Alpha Condé à la présidence de la Guinée à l’automne 2020, le vice-président du principal parti d’opposition, Ibrahima Chérif Bah, a été arrêté. Son fils, Alhoussainy Bah, appelle à la mobilisation de la communauté internationale pour obtenir la libération des prisonniers politiques.
A peine réélu le 18 octobre 2020 au terme d’un scrutin contesté, le président guinéen Alpha Condé, 83 ans, qui entamait son troisième mandat, a multiplié les interpellations de personnalités de l’opposition. Ces arrestations, qualifiées d’« arbitraires » par les défenseurs des droits humains, dont Amnesty International, avaient eu lieu en marge des manifestations qui contestaient, sur le fond et la forme, la victoire d’Alpha Condé. Depuis, plusieurs centaines de personnes croupissent toujours en prison. Des ONG ont également accusé les autorités guinéennes d’être responsables de la mort de détenus en prison. Des allégations rejetées en bloc par le gouvernement. Parmi ces prisonniers politiques figure Ibrahima Chérif Bah, vice-président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti de l’opposition guinéenne, arrêté le 11 novembre 2020. Dans la tribune que nous publions, son fils Alhoussainy Bah, qui réside en France, s’inquiète de la dégradation de l’état de santé de son père, dénonce ses conditions de détention et appelle à la mobilisation de la communauté internationale pour exiger la libération des prisonniers politiques.
Détenu depuis le 11 novembre 2020, mon père, âgé de 73 ans, a dû récemment être transféré dans un centre hospitalier pour soigner de graves problèmes cardiaques. Ma famille, qui a finalement obtenu un droit d’accès, a constaté que son corps est marqué par les conditions de détention déplorables qu’il subit. Dans les prisons guinéennes, la dignité et l’intégrité physique des détenus sont quotidiennement bafouées. Leurs droits à une défense équitable aussi. De quoi est-il coupable pour être traité ainsi ? Son seul crime : avoir participé à l’élection présidentielle et avoir dit « non » à la volonté d’Alpha Condé de se présenter à un troisième mandat, que lui interdisait la Constitution. Les chefs d’accusation les plus fantaisistes ont fleuri pour justifier cet emprisonnement : détention et fabrication d’armes de guerre, association de malfaiteurs, trouble à l’Etat par la dévastation, pillage et destruction, participation à un attroupement, propos incitant à la violence… Dévastation, pillage, fabrication d’armes… Nous parlons d’un homme respectable de 73 ans !
Le cas de mon père est symptomatique du tournant autoritaire pris par le régime en place. Ils sont aujourd’hui environ 350 prisonniers politiques à être incarcérés, répartis entre la maison centrale de Conakry et d’autres centres de détention tout aussi misérables. Dans la première, construite pour accueillir 300 détenus, un seul médecin débordé a en charge le sort de 2 000 prisonniers. Les témoignages des prisonniers nous confirment le pire : les détenus s’entassent les uns sur les autres, sont mal nourris et développent logiquement des maladies liées à l’insalubrité, la promiscuité et l’absence de soins. Quatre prisonniers ont déjà perdu la vie et certaines ONG, dont Amnesty International, ont dévoilé des cas de mauvais traitements, voire de torture par certains gardiens de prison.
Impunité
En Guinée, l’impunité règne pour les forces de sécurité, y compris les forces loyalistes, du fait de l’absence d’organe de contrôle, alors que la moindre parole critique peut vous conduire en prison. Aujourd’hui, hormis Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG, assigné à résidence, peu de personnalités osent protester contre les dérives du régime. Alpha Condé peut-il encore longtemps fermer les yeux face à ces évidences ?
Les chefs d’accusation aujourd’hui retenus contre une grande partie des accusés ne tiennent pas la route, leurs dossiers sont vides. Les cadres de l’UFDG ont ainsi été accusés de « trouble à l’Etat par la dévastation et le pillage, atteinte aux institutions de la République, participation à un mouvement insurrectionnel, menace de violences ou de mort par le biais d’un système informatique, diffusion et mise à disposition d’autrui de données de nature à troubler l’ordre public ». Bien souvent, ces charges sont fondées sur de simples messages militants postés sur les réseaux sociaux. Les dates de procès ne sont, pour la quasi-totalité des détenus, pas encore fixées et le droit des avocats à leur assurer une défense digne et équitable est piétiné au fur et à mesure de l’avancement des procédures.
Mobilisation pour la libération des prisonniers politiques
A travers le cas de mon père, il paraît essentiel de nous mobiliser en faveur de la libération des centaines d’autres prisonniers politiques guinéens, enfermés pour avoir exercé leur droit fondamental au combat politique, à la libre expression, au débat. Face à la pression politique et internationale, de plus en plus forte, Alpha Condé a fait un geste… et exigé des « excuses publiques » des prisonniers en contrepartie de leur liberté. Pensant prouver sa magnanimité, il s’obstine dans l’arbitraire.
Aussi, nous appelons à une mobilisation urgente et entière des décideurs politiques internationaux, français et européens. Nous en appelons surtout à la lucidité du président guinéen : peut-on aujourd’hui se réclamer président de tout un peuple quand on enferme ceux qui ont osé exprimer leur désaccord ? De mon côté, j’ose espérer un retour rapide de mon père parmi les siens.
Par Alhoussainy Bah (fils de l’opposant Ibrahima Chérif Bah)