En Ouganda, plus que deux jours avant les élections générales prévues ce jeudi 14 janvier. Si onze candidats se présentent à la présidentielle, les regards se tournent principalement vers deux d’entre eux : le président sortant Yoweri Museveni, et le chanteur devenu principal opposant, Bobi Wine, Robert Kyagulanyi de son vrai nom.
Ils ont 38 ans d’écart, et deux parcours diamétralement opposés. Yoweri Museveni a grandi dans une famille modeste de l’Ouganda rural de l’Ouest du pays. « Il vient d’une communauté de nomades. Son père était un éleveur, explique Don Wanyama, le porte-parole du chef de l’État. À sa majorité, il a commencé à s’engager pour que sa communauté se sédentarise, en travaillant les terres notamment. »
Le futur président quitte ensuite sa région pour poursuivre ses études à Dar es-Salaam, en Tanzanie. À l’université dans les années 1960, il se rapproche de groupes militants contre le colonialisme, avant de s’engager dans la guérilla au Mozambique, sa première expérience militaire.
La NRA et le renversement de Milton Obote
Après l’élection contestée du président Milton Obote en 1980, Yoweri Museveni décide de revenir dans son pays natal pour créer la NRA (Armée de résistance nationale), un mouvement de rébellion contre le régime. « Il a décidé de prendre les armes quand il a vu que l’élection était faussée et que la population était assujettie au régime », explique Don Wanyama.
En 1985, Milton Obote est renversé et en 1986, Yoweri Museveni devient président. « La victoire de la NRA contre Milton Obote est en partie due aux divisions au sein du régime et de l’armée, relativise le politologue Frederick Golooba-Mutebi. Des militaires hauts gradés ont organisé un premier coup d’État en 1985, qui a donné l’opportunité à Yoweri Museveni de prendre le pouvoir par la suite »
La famille de Bobi Wine aussi était impliquée dans la guerre civile. « Notre grand-père était dans la rébellion contre Milton Obote, raconte l’un des frères du chanteur, Bugembe Ivan Ssentamu. Mais son engagement lui a coûté la vie, et nos parents nous ont donc toujours demandé de rester très loin de la politique ». Bobi Wine grandit dans la capitale Kampala, dans le quartier pauvre de Kamwokya, au nord de la capitale.
« On vivait dans la dernière maison du ghetto, juste à côté des beaux quartiers de Kololo, raconte son frère. On se rendait de temps en temps dans les quartiers riches pour vendre de l’eau et des légumes. Donc Bobi a grandi en observant ces deux mondes complètement différents et toutes ces inégalités autour de nous. » Le chanteur n’avait que trois ans quand Yoweri Museveni est arrivé au pouvoir. Il fait partie de cette génération d’Ougandais qui n’ont connu qu’un seul chef de l’État.
Un gouvernement fier de son bilan
Après 35 ans au pouvoir, le président Museveni défend le bilan de ses différents mandats. « Comparé aux pays voisins, comme le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo, l’Ouganda est le pays le plus stable, assure son porte-parole Don Wanyama. L’Ouganda s’est impliqué considérablement dans les affaires régionales, comme en Somalie avec l’envoi de troupes militaires. »
La croissance économique du pays est également vantée par le parti présidentiel. Avant la crise mondiale liée à l’épidémie de coronavirus, le PIB montait en flèche, avec une augmentation de 6 % en 2019. « Certaines années, la croissance est même montée jusqu’à 8 %. Il est certain que le pays est bien plus industrialisé qu’à l’époque où le président a pris le pouvoir, et que la population vit bien mieux. Mais le système de corruption qui sévit empêche d’apprécier complètement les possibilités économiques du pays » analyse Frédérick Golooba-Mutebi.
Bobi Wine, le « président du ghetto »
Dans ses discours, l’opposant Bobi Wine dénonce souvent les inégalités liées à la corruption. « Il est parti de rien, ce qui construit en lui une conscience sociale forte, qui s’est d’abord reflétée dans sa musique », explique le politologue. Dans les années 2000, Bobi Wine commence en effet sa carrière musicale. Star reggae, ses fans le surnomment très vite le « président du ghetto », bien avant le début de son engagement politique. « Quand nous étions en voiture tous les deux, il me parlait constamment du système d’oppression qu’il observait dans le quartier. Et tout ce qu’il me disait, il finissait par l’écrire dans ses chansons », se souvient son frère Bugembe Ivan Ssentamu.
Ce n’est qu’en 2017 que Bobi Wine se présente pour la première fois à des élections et est élu député d’un district de Kampala. « Il a décidé de s’engager pour avoir plus de poids, pour porter la voix des populations qui ont grandi comme lui, et pour pouvoir faire plus qu’en tant que simple chanteur », affirme l’analyste Frédérick Golooba-Mutebi.
Un duel inédit
Depuis, le musicien est devenu un fervent opposant au régime du président Yoweri Museveni. En août 2018, son chauffeur est tué par une balle de la police ougandaise, et Bobi Wine est arrêté pour « trahison ». Relâché en septembre 2018, il s’envole pour les États-Unis où il dénonce les tortures qu’il aurait subies pendant son séjour en prison. L’opposant a depuis été arrêté à de nombreuses reprises : dernière en date, le 18 novembre lors d’un meeting. Son arrestation avait alors provoqué des émeutes dans le pays, qui s’étaient soldées par la mort de 54 personnes.
Le duel dans les urnes entre le président Yoweri Museveni et Bobi Wine sera inédit ce jeudi, après plusieurs élections où le chef de l’État a affronté Kizza Besigye, principal opposant du parti du FDC (forum pour un changement démocratique). « Bobi Wine est désormais le nouveau Besigye, dans le sens où il est la nouvelle cible des forces de l’ordre. Comme il est nouveau et plus dangereux pour le régime, il est plus violemment attaqué que les autres plus anciens sur la scène politique », conclut Frédérick Golooba-Mutebi.
♦ Et les autres ?
En plus du président sortant Yoweri Museveni et de Bobi Wine, huit autres candidats se présentent à la présidentielle. Patrick Oboi Amuriat notamment, du FDC, le Forum pour le Changement Démocratique. Son parti est celui de l’ancien principal opposant, Kizza Besigye, qui a affronté quatre fois le chef de l’État dans les urnes.
Trois anciens hauts gradés de l’armée ougandaise font également campagne. Le premier Mugisha Muntu défend les couleurs de son parti, l’ANT (Alliance pour une Transformation nationale). Ancien commandant de l’armée ougandaise, il a présidé le FDC de 2012 à 2017. Henry Tumukunde est lui aussi retraité de l’armée ougandaise. Il a également fait parti d’un gouvernement de Yoweri Museveni, comme ministre de la Sécurité nationale en 2016, avant d’être démis de ses fonctions deux ans plus tard. Fred Mwesigye, lui aussi ancien commandant de l’armée, est également un ancien combattant des groupes rebelles pendant la guerre civile contre Milton Obote. Il est devenu député en 2011, sous l’étiquette du parti présidentiel. Il se présente aujourd’hui en indépendant.
Norbert Mao est le candidat du Parti Démocratique. Avocat de profession, il s’est présenté une première fois à la présidentielle de 2011. Nancy Kalembe est la seule femme candidate à la présidentielle. À plusieurs reprises, elle a regretté le manque de financements qui l’ont empêché en partie de faire campagne. C’est d’ailleurs sur les questions économiques qu’elle a axé ses meetings, en s’engageant à faire baisser la dette nationale et à lutter contre le chômage structurel dans le pays.
D’autres candidats sont moins connus du public. Comme John Katumba, benjamin de cette élection. À 24 ans, il est tout juste diplômé de l’école de commerce de la prestigieuse université de Makerere à Kampala. Dans ses meetings, il s’engage pour la jeunesse du pays. Willy Mayambala, lui, est un candidat indépendant. Au milieu du mois de décembre, il a annoncé ne plus organiser de meetings pour éviter de propager le Covid-19. Sa campagne s’est principalement déroulée sur les réseaux sociaux. Enfin, Joseph Kabuleta est un autre candidat indépendant. Pasteur de profession, il a déclaré avoir été « envoyé par Dieu » se présenter à l’élection. Il milite pour une répartition équitable des richesses en Ouganda, et pour que les chiffres de la croissance se répercutent sur la vie de la population.
RFI