Ancien Premier ministre, principal opposant d’Alpha Condé et candidat à la présidentielle du 18 octobre dernier, Cellou Dalein Diallo revient sur les tensions actuelles dans le pays, pointe du doigt les dysfonctionnements structurels qui ont retardé la croissance guinéenne et propose trois grandes mesures pour relancer l’économie.
Comment se présente la situation pour vous aujourd’hui et comment voyez-vous l’évolution de la situation en Guinée dans les prochains jours ?
Cellou Dalein Diallo – Mon bureau a été saccagé par les militaires avec l’idée de mettre la main sur les pièces à conviction qui mettent en évidence la fraude orchestrée par le pouvoir en faveur de son candidat [Alpha Condé, ndlr]. Le siège de notre parti [UFDG, ndlr] est également occupé par les militaires. Cela est bien évidemment la conséquence d’une stratégie d’intimidation et de violence décidée par Alpha Condé pour qui se maintenir au pouvoir est une question de vie ou de mort. Après son « coup d’Etat constitutionnel », il recourt aux mêmes moyens pour imposer aux Guinées son troisième mandat et réussir son « coup d’Etat électoral ».
Pour quelles raisons contestez-vous toujours les résultats du premier tour de la présidentielle annoncée en fin de semaine dernière par la CENI ?
Bien avant les élections, j’ai investi dans la procédure de collecte des P.V., en recrutant et en formant 30 000 jeunes qui allaient être présents dans les bureaux de vote. C’est pour cela qu’avant la fin de la nuit du lundi [19 octobre, le lendemain du jour des élections, ndlr], nous avions déjà les copies des P.V. rédigés à l’issue du vote. Tout allait bien se passer jusqu’à ce que Condé décide avec ses militants, dans la nuit du lundi au mardi, d’engager une vaste opération de fraude en falsifiant des P.V. et des données des résultats de vote. L’on a alors découvert que le taux de participation au vote dans les fiefs traditionnels de Condé arrivait à 90%, alors que dans la réalité il ne dépassait guère les 50%. En comptabilisant d’ailleurs les chiffres des P.V. réels, nous nous sommes rendu compte que je passais avec 53,84% des voix.
Une solution négociée ne sera-t-elle pas opportune face à l’impact de la crise politique sur l’économie du pays qui a déjà subi les effets de la pandémie de Covid-19 ? Seriez-vous ouvert au dialogue ?
Alpha Condé n’est pas un homme de dialogue. Il s’impose par la force et au moyen de la corruption dont il s’est servi pour s’assurer la fidélité de certains militaires grâce à la manne minière. En effet, les exportations de bauxite en Guinée ont explosé en passant de 15 millions de tonnes en 2015 à 70 millions de tonnes en 2020. Et croyez-moi, les sommes reversées au guichet du trésor public sont très faibles. Tout le reste a été empoché par Alpha Condé et son clan qui utilisent ces revenus pour acheter les consciences et surtout pour motiver les officiers supérieurs de l’armée. Comment expliquer que ces gens continuent de tuer si ce n’est grâce à l’impunité, la corruption et l’incitation à la haine ethnique qu’Alpha Condé a su utiliser chaque fois qu’il est en difficulté !
Pour qu’il y ait des négociations, pour qu’il y ait un dialogue, il faut qu’il y ait une volonté. Ce n’est pas exclu qu’Alpha Condé, pour redorer son image, s’ouvre au dialogue. Mais le problème, c’est qu’il a un pouvoir illégitime, parce que la constitution sur la base de laquelle l’élection a été organisée est illégale. La constitution que nous avions en 2010 ne donnait aucune possibilité à Alpha d’avoir un troisième mandat.
Il est vrai que nous voulons la paix. Mais, cela doit être motivé par la justice, le respect de l’Etat de droit et de la démocratie. Pour la paix, je m’étais abstenu de contester en 2010 et en 2015. Cette fois, la population résiste et se bat pour faire prévaloir son vote et le respect des suffrages exprimés. Je ne peux pas décider seul de laisser passer ce hold-up électoral. Je dis encore une fois qu’il faut que la communauté internationale nous aide, afin que nous puissions avancer dans le respect des droits.
J’ai gagné cette élection. J’y ai investi mon temps, mon énergie, tout comme mes militants qui se sont battus pour que nous ayons ce succès. Je suis sûr des pièces à conviction que je détiens et de ma victoire. Il faut vraiment que le droit soit dit et qu’on nous restitue la victoire de nous avons acquise de haute lutte.
Riche en ressources naturelles, la Guinée est le deuxième producteur mondial de bauxite, dispose du fer, de l’or, du diamant,…. Vous parliez de la « manne minière ». Si la tendance s’inversait et que vous étiez élu, quelles sont les trois mesures fortes que vous prendriez tout de suite pour relever l’économie ?
La première réforme, dont dépend le succès des autres, serait la mise en place d’une véritable administration. Débarrasser l’axe de la corruption et du favoritisme et prendre comme critère de promotion des cadres, la compétence et l’intégrité. Nous avons aujourd’hui en Guinée une administration corrompue et incompétente, où chacun ne travaille que pour lui. Une administration où vous avez tous les droits lorsque vous êtes militant du RPG et n’êtes jamais sanctionné pour tout ce que vous pouvez faire de mauvais. Mais si vous n’êtes pas membre du RPG, quels que soient vos talents, vous êtes écartés. Cela doit changer. Il faut une administration dépolitisée, neutre, indépendante, mais capable de délivrer des services de qualité à la population. Car, quelle que soit la qualité des projets de développement mis en œuvre, les résultats ne peuvent être optimisés si l’administration ne réunit pas tous les critères susmentionnés. Il faut mettre fin à l’impunité et le président de la République doit donner l’exemple.
Dès lors que cette question liée à l’administration est réglée, il faudra impérativement prendre des mesures pour améliorer le climat des affaires. La troisième mesure, très importante, est l’industrialisation. Il faut transformer en produits finis ou semi-finis les matières premières que nous exportons en brute, notamment la bauxite. Nous avons hérité de Péchiney une usine d’alumine qui produisait 700 000 tonnes d’alumine dans les années d’indépendance et qui reste aujourd’hui la seule, parce qu’il n’y a pas eu de développement. Je l’ai dit plus haut, les exportations de bauxite ont été multipliées par cinq, alors qu’aucun effort de transformation locale de cette bauxite n’a été fourni.
Si l’on considère l’usine de bauxite de Fria qu’on a hérité de l’indépendance, elle ne transforme que deux millions de tonnes de bauxite. Cette usine crée environ 3 000 emplois – 1200 directs et 2000 emplois indirects -. Si nous ne transformions que 50% de la bauxite que nous exportons, soit 35 millions de tonnes, nous aurions pu créer un nombre important d’emplois.
Aujourd’hui, la Guinée est l’un des premiers pays émetteurs d’immigration clandestine vers l’Europe. Les Guinéens sont nombreux à mourir dans la mer et dans le désert, à la recherche des perspectives, parce que dans leur pays, il n’y en a aucune. C’est une jeunesse désœuvrée qui part. Il faut donc créer plus d’emplois et les opportunités existent bel et bien. Aujourd’hui, le marché mondial de la bauxite est porteur, celui du fer et de l’or le sont également. Que faut-il faire pour que nous puissions avoir plus de valeur ajoutée, plus d’emplois,…? Il faut créer les emplois localement au moyen de l’industrialisation, au lieu d’exporter ces emplois en exportant la bauxite brute, d’autant plus que nous sommes le premier pays africain à avoir une expérience dans la transformation de la bauxite en alumine.