Alors que la recomposition du marché mondial de la bauxite semblait plus que jamais tourner à l’avantage de la Guinée et d’autres pays comme l’Australie et la Malaisie, avec l’arrêt de l’exportation de la bauxite indonésienne vers la chine qui représente le plus grand potentiel en parts de marché de ce minerai, l’annonce par l’Indonésie de la reprise des exportations de l’or rouge vers le géant chinois, leader incontesté du marché mondial de l’aluminium, redistribue à nouveau les cartes.
Après environ dix-huit mois d’arrêts de ses exportations vers la chine, l’Indonésie a décidé de reprendre sa place de principal pourvoyeur de bauxite à l’empire du milieu et de jouer à nouveau sur les cours du marché mondial de la bauxite. Parti d’Indonésie le 15 juin, le premier navire, avec 55.000 tonnes de bauxite à bord, est arrivé le lundi 26 juin 2017 au port de Laizhou, en Chine. Un second bateau devrait partir en destination de la chine ce mercredi 5 juillet.
Le contrôle du marché mondial de l’aluminium au cœur des enjeux
L’ogre chinois avec ses 180 alumineries et qui produit à elle seule 50 % de la production mondiale d’aluminium soit plus de 33 millions de tonnes d’aluminium par an, a une stratégie qui consiste à inonder le marché de sa production pour influer sur le prix du métal qu’il maintient très bas (1206 $ / tonne métrique) et dicte ainsi sa loi sur le marché mondial au grand dam de pays compétitifs comme l’Australie ou le canada.
« Depuis 116 ans, il s’est produit 195 tonnes métriques ™ d’aluminium primaire aux Etats unies. En onze ans en Chine, ce sont 201 tm qui ont été produites, et de 2016 à 2021, le total sera de 215 tm. La chine exporte 10 % de sa production, ce qui est l’équivalent de la production canadienne. Le poids de la Chine est démesuré » déclarait en début d’année Jean Simard,président et chef de direction de l’Association de l’aluminium du Canada. Ce qui illustre la domination sans partage de l’empire du milieu dont la demande chinoise en bauxite devrait atteindre 51,4 millions de tonnes d’ici à 2019.
Pour garder le cap, la chine qui est prête à tout pour maintenir la cadence de l’approvisionnement de ses raffineries d’alumine, s’est retrouvée ainsi dans l’obligation de se tourner vers d’autres pays producteurs de bauxite comme la Guinée après l’imposition d’un embargo indonésien sur ses exportations de bauxite. La Guinée a très vite compris qu’elle pouvait tirer son épingle du jeu avec ces 25 milliards de tonnes de réserves de bauxite. Les Chinois se sont alors très vite fondus dans le paysage des sociétés extractrices de bauxite en Guinée à travers la SMB(société minière de Boké). Une joint-venture détenue par trois partenaires mondiaux dont la compagnie Singapourienne Winning Shipping Ltd, l’un des plus grands armateurs asiatiques et le principal transporteur de bauxite en Chine ; United Mining Supply (UMS), une société de transport et de logistique, leader de son secteur en Afrique de l’Ouest; Shandong Weiqiao, une société chinoise leader dans la production d’aluminium, avec 160 000 employés et un chiffre d’affaires de 45 milliards de dollars US.
« La performance exceptionnelle de la SMB, en moins de deux ans, a fait passer la Guinée d’une production de bauxite stagnante à une production dynamique. La SMB est passée de 12 millions de tonnes en 2016 à 30 millions en 2017 et vise 80 millions en 2020. Cette année 2017, grâce à son alliance avec l’AMR, elle atteindra une production de 35 millions de tonnes. C’est son dynamisme qui va bientôt positionner la Guinée comme premier producteur de bauxite au monde » s’enthousiasmait le mois dernier Ahmed Kanté, ex- directeur Général de la Soguipami, la société guinéenne du patrimoine Minier, à l’occasion de la signature de l’accord d’amodiation avec l’Alliance Minière Responsable (AMR), une société française nouvellement installée dans l’industrie guinéenne de la bauxite.
Ce regain d’intérêt de la demande chinoise qui s’est matérialisée par l’entrée en jeu de la SMB, conjuguée aux efforts des compagnies traditionnelles comme la CBG et Russal, a vite hissé le pays du cinquième au quatrième rang du plus grand producteur mondial de bauxite. Sur la seule année de 2016, sa production a augmenté de 50 % soit de 18,11 millions de tonnes à 27 605 000 tonnes devançant ainsi l’Inde. La Guinée vise désormais un objectif de production de 60 millions de tonnes à l’horizon 2020, ce qui lui vaudra une entrée dans le top 3 des pays producteurs derrière l’Australie et la chine, au détriment du Brésil.
La Guinée misait irrémédiablement sur l’augmentation rapide et exponentielle de sa production et de ses exportations vers la Chine pour grappier les importantes parts de marché abandonnées par l’Indonésie depuis plus d’un an. Elle va désormais devoir composer avec cette dernière qui revient en force avec la ferme ambition de reprendre sa place de pourvoyeur traditionnel de la chine.
Place à la compétition…?
Ces chiffres illustres explicitement la politique minière de la Guinée qui plus que jamais est tournée de façon prioritaire sur l’exportation avec l’objectif affichée de satisfaire une demande chinoise de plus en plus croissante. Les premières conséquences de cette ruée sur l’or rouge, sans retombée significative pour les populations riveraines, au détriment de l’agriculture dont elle a un potentiel unique dans la sous-région, sont déjà observées et dénoncées par la société civile locale.
Ce n’est pas pour rien que la Chine a accueilli la reprise des exportations indonésiennes « comme un grand événement économique, un véritable atout pour ses raffineries ». Selon les médias locaux, le gouvernement de Laizhou a d’ailleurs célébré avec un éclat particulier l’arrivée du premier bateau de bauxite en provenance d’Indonésie à travers une cérémonie officielle de réjouissance. La Guinée a donc du souci à se faire, car malgré son “prestigieux” rang de 4 ème producteur mondial avec une bauxite de meilleure qualité, l’Indonésie et la Malaisie demeurent plus compétitives pour les Chinois.
Mais pour comprendre tout cet engouement que suscite la bauxite indonésienne du côté de la chine, il faut savoir que l’archipel indonésien bénéficie de l’avantage de sa proximité maritime avec l’empire du milieu et offre ainsi des privilèges qui la rend plus compétitive que la Guinée qui se situe de l’autre côté du Globe.
Certains observateurs estiment que le seul moyen pour la Guinée de rester compétitive et rivaliser avec l’Indonésie sur le marché chinois, c’est d’accueillir sur son sol de nouvelles sociétés avec de grandes ambitions comme la SMB, et que « la Guinée aille vite dans la délivrance des permis, qu’elle extraie et exporte encore plus de bauxite pour soutenir la compétition avec l’Indonésie » préconisent t-ils.
S’inscrire dans cette optique comporte de gros risques. Car il faudra abandonner toute idée de transformation locale pour miser sur l’exportation de masse qui représente par ailleurs un risque accru pour l’environnement avec la prolifération de sociétés minières peu respectueuse de l’éthique et du code minier.
Si nous prenons également en compte le fait que c’est le manque de transformation locale qui avait poussé l’Indonésie à stopper ses exportations de bauxite, pour inciter les compagnies étrangères à la transformation sur place, et qui est revenue sur cette décision avec désormais la ferme volonté d’exporter à tout-va pour drainer les capitaux nécessaires à la réalisation de cet objectif , la Guinée en dépit de son niveau de production croissante, doit –elle se permettre de prendre le risque d’entrée dans une compétition avec un pays plus compétitif, sans en évaluer les impacts et conséquences pour les générations présentes et futures? La question mérite d’être posée et analysée avec lucidité.
Les réalités de la Guinée
Contrairement à ce que certains spécialistes du monde minier pensent, la Guinée à tous les égards n’est pas l’Indonésie qui a eu le courage de dire stop !à la chine, en dépit des retombées de ses exportations vers l’empire du milieu. Tout simplement parce qu’elle s’est rendue compte qu’elle exportait à perte et que le manque de perspectives industrielles de transformation locale lui fait échapper des milliers d’emplois pour sa jeunesse et ses élites. Elle a réalisé que ses futures générations ne profiteraient sans doute pas des retombées de l’exploitation de son potentiel bauxitique qui demeurent une ressource épuisable. L’archipel n’a décidé de reprendre ses exportations vers la Chine qu’avec l’ambition ferme et affichée de se doter des moyens de sa politique.
En ce qui concerne la Guinée, le dernier rapport de l’ONG Natural resource gouvernance institute (NRGI) sur l’indice de la gouvernance des ressources naturelles classe le pays parmi les plus médiocres en matière de gestion des revenus liés aux industries extractives avec au passage, un code minier non appliqué. S’engager dans ces conditions dans une compétition avec l’Indonésie, dont le but sera de grappier des parts de marché n’est pas une garantie que les capitaux qui en découleront seront mis au service du développement et des communautés.
Ce rapport de NRGI accablant pour la Guinée relègue le pays sur le banc des mauvais élèves en matière de transparence dans la gestion de ses ressources naturelles et des conditions générales de gouvernance , alors que note l’enquête, l’exploitation minière représente plus 60 %du total des exportations de la Guinée et 24 %des recettes totales de l’État en 2015. Ce qui représente une part énorme dans l’économie du pays.
La Guinée qui est assise sur le plus grand gisement minier de bauxite au monde, qui exploite et exporte depuis plusieurs décennies son minerai, figure dans le top 10 des dix pays les plus pauvres de la planète selon le classement Forbes de 2015, qui s’appuie sur des données du FMI, plus de la moitié des guinéens vivent encore sous le seuil de pauvreté. Malgré tout le potentiel de son sous-sol, qualifié à juste titre de « scandale géologique » le pays n’a jamais su profiter de cet immense atout. Sans leadership visionnaire, le pays manque presque de tout (pas d’électricité, pas d’eau, pas de routes, pas d’infrastructures dignes du nom,…).
Ces « spécialistes » qui estiment que la Guinée n’a pas d’autres choix que de s’inscrire dans la compétition avec l’Indonésie, ne connaissent pas la Guinée et ont une vision étriquée de ces réalités. Inciter la Guinée à s’engager dans une telle démarche, c’est l’inciter vers une catastrophe environnementale et écologique sans perspective sociale et économique. A terme, avec son « statut » de château d’eau de l’Afrique occidentale, cela pourrait représenter une menace pour la sous-région ouest-africaine. La Guinée doit donc impérativement tenir compte de ses propres réalités avant de s’engager dans une compétition perdue d’avance.
La seule compétition qui vaille la peine d’être menée par la Guinée, c’est celle de la bonne gestion.
Mamadou Aliou DIALLO pour afriquevision.info/contact@afriquevision.info