Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a ouvert la voie mercredi soir à un réexamen d’une décision rendue par la Cour constitutionnelle sur les résultats des législatives et considérée comme un déclencheur de la crise politique traversée par le pays en guerre.
Dans une allocution télévisée prononcée avec plusieurs heures de retard, M. Keïta a évoqué ce qu’il a appelé un « remembrement » rapide de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire la nomination de nouveaux juges. Il a laissé entendre que la Cour nouvellement formée pourrait réexaminer la décision prise par cet organe après les législatives de mars-avril et invalidant une trentaine de résultats initialement proclamés.
L’heure tardive de l’allocution n’a pas permis d’établir si ces propos apaisaient la coalition qui mène la contestation depuis plusieurs semaines. Celle-ci a fait descendre des milliers de Maliens dans les rues de Bamako à deux reprises en juin et, quelques heures avant l’intervention de M. Keïta, a appelé à une nouvelle manifestation vendredi pour réclamer sa démission, estimant qu’aucune de ses exigences n’avaient été satisfaite.
La contestation à laquelle fait face M. Keïta, président depuis 2013, préoccupe les alliés du Mali, inquiets de son potentiel déstabilisateur dans un pays confronté au jihadisme et à une série de défis majeurs, dans une région elle-même tourmentée.
Le mouvement dit du 5-juin, coalition hétéroclite composée de responsables religieux et de personnalités de la société civile comme du monde politique et canalisant les multiples colères maliennes, avait dit la semaine passée vouloir laisser sa chance au dialogue et renoncer provisoirement à faire de la démission du président un préalable à toute discussion.
Cependant, il réclamait la dissolution du Parlement, la formation d’un gouvernement de transition dont le mouvement désignerait le Premier ministre, ainsi que le remplacement des neuf membres de la Cour constitutionnelle, accusée de collusion avec le pouvoir.
Sur la trentaine de résultats des législatives invalidés par la Cour constitutionnelle, une dizaine l’avait été au profit de membres de la majorité présidentielle, à commencer par celui qui allait ensuite être élu à la présidence du Parlement.
Mercredi soir, M. Keïta a admis que « l’arbitrage du dernier scrutin par la Cour (constitutionnelle) sortante a posé problème et continue à poser problème », selon la version écrite de son intervention. Il a indiqué que la Cour sera « remembrée et mise en fonction le plus rapidement possible ».
– « Posture du refus » –
Au moins quatre des neuf juges ont annoncé leur démission depuis le début de la crise et un cinquième est décédé, ce qui devrait favoriser une recomposition.
M. Keïta n’a pas accédé pour le moment à l’exigence de dissolution du Parlement, mais il a jugé « hautement probable que les solutions trouvées par la nouvelle Cour constitutionnelle résolvent la question de l’Assemblée nationale ».
De nouvelles élections pour la trentaine de sièges concernés faisaient partie des préconisations de la Communauté des Etats ouest-africains (Cédéao) pour sortir de la crise. M. Keïta a annoncé la venue « imminente » au Mali d’une mission de soutien de présidents de Cours constitutionnelles de la Cédéao.
Il n’a pas totalement exclu une dissolution de l’Assemblée mais en a mis en doute la faisabilité politique et légale. « Si la paix du Mali passe par là et que j’ai les moyens constitutionnels de le faire sans plus tard risquer de créer un vide constitutionnel dommageable pour tout le pays, je le ferai sans hésiter », a-t-il déclaré.
Il a en revanche réaffirmé sa confiance dans le Premier ministre qu’il a maintenu après les législatives, Boubou Cissé. Celui-ci n’a toujours pas pu former de gouvernement. M. Keïta a rappelé sa proposition de gouvernement d’union nationale.
« Certains de nos frères doivent quitter la posture de refus », a-t-il dit en assurant avoir lui-même « entendu les colères ».
Celles-ci prospèrent sur les maux du Mali, vaste pays parmi les plus pauvres du monde: dégradation sécuritaire et incapacité à y faire face après des années de violence, marasme économique, défaillance des services de l’Etat, discrédit répandu d’institutions suspectes de corruption.
Avec l’AFP