Tribune. C’est l’histoire d’une Constitution qui consacrait la limitation des mandats présidentiels au rang de disposition intangible et qui contrariait fortement le désir de présidence à vie d’un dirigeant âgé de 83 ans qui ne se refusait absolument rien pour y parvenir.
Au mépris des règles de droit les plus élémentaires, il eût l’idée, via un simulacre d’expression populaire, de changer la Constitution qu’il avait juré de « respecter et de faire respecter scrupuleusement », commettant ainsi un acte de parjure susceptible d’engager sa responsabilité devant la Haute Cour de justice.
Juridiction qu’il refusera d’ailleurs d’installer à dessein malgré les injonctions formulées par la Cour constitutionnelle dans un Arrêt du 8 février 2018 de même qu’il refusera d’installer les Conseils de quartiers et de régions en dépit de l’Arrêt de la Cour Suprême du 26 décembre 2019.
Dans une entreprise méthodique de déconstruction de l’État de droit, ou du moins ce qu’il en restait sous son magistère, le Professeur en droit commencera par faire révoquer le Président de la Cour constitutionnelle en violation des règles procédurales en la matière et saboter tous les dispositifs juridiques et institutionnels agissant sous d’autres cieux comme de solides contre-pouvoirs.
Aussi, fera-t-il organiser des campagnes dispendieuses de promotion de troisième mandat à coup d’argent public et engagera, par la voix de son Premier Ministre, doublement partisan du changement constitutionnel, des consultations populaires visant à légitimer, aux yeux de l’opinion publique internationale, le tripatouillage constitutionnel.
Fidèle à sa maxime « dans les autres pays où il y a de nouvelles constitutions, il y a eu beaucoup de manifestations, il y a eu des morts, mais ils l’ont fait », il opéra son coup de force le 22 mars 2020 et nous offrit un référendum militarisé et ensanglanté qui sera boycotté par l’écrasante majorité des guinéens. Des dizaines de jeunes y laisseront la vie.
À la fraude à la Constitution de 2010 désormais établie, vient se greffer une autre fraude : la subtilisation au texte soumis à référendum d’un texte au contenu foncièrement différent.
En effet, par un décret en date du 6 avril 2020, le Président de la République a promulgué un texte qui est différent « du projet de Constitution » publié en janvier au journal officiel et comportant le sceau du Ministre de la justice. Or, en temps normal, le texte tenant lieu de « Constitution » doit être en tous points identique au « projet de Constitution » ayant reçu l’avis du Président de l’Assemblée Nationale et de la Cour constitutionnelle et l’approbation du Peuple.
Si cette situation des plus ubuesques nous permet d’atteindre le point d’orgue de la forfaiture démocratique, ne sied-t-il pas de la considérer comme l’aboutissement ultime du processus de tripatouillage constitutionnel amorcé plusieurs mois avant le 22 mars 2020 ?
Autrement dit, dès lors que le processus de base est fondamentalement vicié et contraire au cadre juridique national, international et communautaire, pourquoi le pouvoir s’embarrasserait-il de précautions légales, procédurales, et éthiques pour ce qui est du résultat ?
Le double langage du Ministre de la Justice qui reconnait dans un premier temps la forfaiture avant de se raviser ne changera rien à la pertinence des éléments factuels et conceptuels ci-dessous rappelés.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous nous intéresserons aux violations ante et post référendum avant d’examiner les conséquences du tripatouillage constitutionnel sur l’État de droit.
I– La violation de la procédure référendaire en amont et en aval
Dans tous les États modernes, le recours au référendum est strictement encadré par le droit. La souveraineté qui est posée à l’article 2 de la Constitution du 7 mai 2010 ne signifie pas que la souveraineté nationale qui appartient au peuple s’exerce de n’importe quelle façon. Elle s’exerce par ses représentants élus et par la voie du référendum dans les formes prévues par la Constitution. Or, le déroulement du processus référendaire a été marqué par une cascade de violations et la démission du gouvernement de plusieurs ministres opposés au tripatouillage constitutionnel dont celui de la Justice, Maître Cheick Sako.
En effet, il faut rappeler que l’Ordonnance n01 du 29 janvier 2020 portant dispositions relatives au référendum a été prise en violation des articles 82 et 83 de la Constitution et de la loi d’habilitation du 30 décembre 2019 qui interdisent toute habilitation législative dans les matières qui relèvent des lois organiques.
La Cour Constitutionnelle, gardienne de la Constitution, plusieurs fois saisie de recours contre les irrégularités constatées a refusé de dire le bon droit et de protéger la Constitution du 7 mai 2010.
C’est ainsi que sur fond de répression systématique et sauvage des opposants au changement anticonstitutionnel regroupés au sein du FNDC, le Gouvernement du Professeur Alpha CONDE nous a officiellement livré, à ce jour, trois textes constitutionnels différents. Il s’agit :
du projet de texte constitutionnel du mois de décembre 2019 ayant reçu l’avis de la Cour constitutionnelle et du Président de l’Assemblée Nationale. Ce projet qui a été publié sur le site internet du Gouvernement est composé d’un préambule et de 161 articles du projet de texte constitutionnel publié en janvier au journal officiel (dans un numéro spécial) et comportant 157 articles, donc différent du premier du texte tenant lieu de « Constitution » qui est différent des deux premiers et qui comporte 156 articles. Ce dernier texte a été promulgué le 6 avril 2020 et publié le 14 du même mois au journal officiel (dans un numéro spécial).
Il est à préciser que la différence entre les trois textes ne se limite pas au nombre d’articles, elle se retrouve surtout dans les dispositions d’une dizaine d’articles, selon les textes comparés puisqu’il y en a trois. Il s’agit notamment des articles 37,42, 47, 64, 76, 77, 83, 84, 106, 107, 119, 120, 132 etc.
La différence entre les trois textes, la nature et l’importance des dispositions illégalement modifiées ou falsifiées et le temps que tout cela a pris montrent qu’il ne s’agit pas d’une erreur. Mais, au contraire, d’une volonté des tenants du pouvoir de se tailler frauduleusement une Constitution sur mesure, en violation de la souveraineté populaire.
La même souveraineté populaire dont ils se sont prévalus pour justifier le tripatouillage de la Constitution. On n’a jamais vu de procédé juridique plus tordu.
Le coup d’état constitutionnel dénoncé par le FNDC est désormais une infraction consommée avec des circonstances aggravantes. Cela est d’autant plus vrai qu’après la dernière communication du Ministre de la Justice sur le sujet, il n’y a plus de doute possible que le texte constitutionnel falsifié publié au journal officiel le 14 avril 2020 est bien le texte promulgué le 6 avril par le Président de la République. Ce qui sous-entend que la falsification n’est pas intervenue entre la promulgation et la publication car si les deux textes avaient été différents, le Gouvernement aurait déjà reconnu et rectifié « l’erreur ».
II- Les conséquences du tripatouillage constitutionnel sur l’État de droit
Avec une « Constitution falsifiée et très largement contestée », la base juridique et institutionnelle du pays est désormais lourdement fragilisée par cette forfaiture. Cela constitue aujourd’hui un motif d’inquiétude et d’indignation pour tous les citoyens attachés au respect des principes démocratiques et de l’État de droit.
En effet, les guinéens se demandent aujourd’hui, et à juste raison, si leur État a encore une Constitution valide, et si oui laquelle ? Sur le plan strictement juridique, la Constitution du 7 mai 2010 demeure en vigueur aussi longtemps que le projet de Constitution publié au journal officiel en janvier 2020 que l’on suppose avoir été soumis à l’approbation du « Peuple réduit aux militants du RPG » n’est pas promulgué et publié.
En attendant, la Cour Constitutionnelle, gardienne de la Constitution, et tous les sujets de droit, personnes physiques et personnes morales, ne peuvent valablement invoquer ou se prévaloir de la « nouvelle Constitution falsifiée ».
En outre, dans l’hypothèse d’une saisine, sur quelle base juridique la Cour Constitutionnelle peut faire le tri entre le bon et le mauvais texte étant entendu que cette juridiction ne statue jamais sur les dispositions d’une Constitution déjà adoptée par référendum. Elle ne peut se prononcer que sur la procédure référendaire afférente au projet qui lui a été soumis en Décembre 2019 et qui comportait 161 articles, donc différent des textes de janvier et d’avril.
Or, il est évident que ce n’est pas ce texte qui a été soumis au référendum du 22 mars 2020. Il reste entendu que contrairement à la déclaration du Ministre de la Justice, un « texte constitutionnel » rédigé dans le secret et qui n’est pas porté à la connaissance du peuple avant le scrutin référendaire, conformément à la procédure y afférente, ne saurait être valablement opposable du seul fait de sa promulgation et de sa publication.
La question politique fondamentale à laquelle il nous est alors enjoint de répondre au nom du contrat social est peut-être tout simplement celle-ci : devons-nous accepter, aujourd’hui, d’être gouvernés sous l’empire d’une Constitution falsifiée elle-même née d’un acte de haute trahison au terme d’une parodie référendaire ?
Autrement dit, allons-nous laisser notre pays se couvrir de ridicule en laissant les ambitions d’un groupe d’individus piétiner notre dignité de citoyen averti et assister à la mise à mort de l’État de droit ?
Par Nadia NAHMAN et Maître Amadou Timbi DIALLO