Depuis quelques mois, la Guinée connait de vives tensions politiques causées par le changement annoncé de la constitution et la possibilité subséquente, pour le Président Alpha Condé, de solliciter un 3e mandat, alors qu’il achève son 2e et dernier mandat (selon la constitution actuelle) vers la fin 2020. Pour les supporters du projet, le but visé n’est pas de favoriser le Président Condé et ce dernier n’a encore jamais dit qu’il était intéressé par un 3e mandat. Pour ceux qui s’y opposent, le but ultime de toute cette entreprise est d’octroyer un 3e mandat au Président Condé.
Aujourd’hui, je voudrais juste partager quelques éléments qu’il vaudrait mieux, à mon humble avis, garder présent à l’esprit en ces moments que traverse la Guinée. Plus tard, j’analyserai les arguments avancés tant en faveur du projet de changement constitutionnel que contre.
Le premier élément qu’il faut garder à l’esprit est un enseignement tiré de l’expérience des démocraties dans le monde ; l’expérience, ce « guide qu’il faudrait toujours suivre chaque fois qu’on en a l’occasion » (selon James Madison). Pour Adam PRZEWORSKI (dans Why Bother with Elections, 2018), la probabilité qu’il y ait une alternance à la prochaine élection dépend du passé. Ainsi, dans des pays qui n’ont jamais connu l’alternance au pouvoir, la probabilité d’en avoir une à la prochaine élection est de 0.12. Dans les pays ayant connu une alternance lors de l’élection précédente, cette probabilité est, déjà, de l’ordre de 0.30. Dans les pays ayant connu deux alternances, la probabilité d’en avoir à la prochaine élection est de 0.45, quasiment une élection sur deux. Selon qu’il décide de se présenter ou non en 2020, le Président Condé pourrait réduire ou non les chances d’un transfert pacifique du pouvoir au sommet de l’Etat, inédit en Guinée.
Le deuxième élément concerne la situation spécifique de la Guinée qui inciterait certains à souhaiter le maintien au pouvoir du Président Condé. Le Libéria et la Sierra Léone, deux voisins de la Guinée ont, dans leur histoire politique récente, connu des années pénibles de guerre civile aux coûts humain, économique, politique, social extrêmement lourds. Pourtant, dans ces deux pays, les présidents Johnson Sirleaf et Ernest B. Koroma ont respecté la limitation des mandats et permis le transfert pacifique du pouvoir à de nouveaux présidents élus. Il est difficile d’imaginer quelles spécificités justifieraient que la Guinée fasse moins que ces deux pays, sur le respect de la limitation des mandats. Au contraire ! Faudrait-il le mentionner, selon Afrobaromètre, le nombre de Guinéens qui sont « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec la limitation des mandats présidentiels à 2 est de 84%, en 2013, et 85%, en 2015.
Troisième élément, la tendance générale dans la sous-région est plutôt au respect de la limitation des mandats. De fait, ce n’est qu’au Togo que, malgré la réforme constitutionnelle récente réintroduisant la limitation des mandats, il reste difficile de dire si elle sera respectée ou non. A l’exception notable de Faure Eyadéma (dans sa 15e année à la tête du Togo) aucun président en exercice n’a fait plus de 10 ans au pouvoir dans toute l’Afrique de l’Ouest. Pour nous, Ouest-Africains ou Africains, il est incompréhensible, inconcevable d’imaginer que le Professeur Alpha Condé, avec son expérience politique et sa compétence qui font autorité, choisisse de suivre l’exemple du Togo et non celui de la quasi-totalité des autres pays de la sous-région, à commencer par ses voisins immédiats déjà cités.
“Le Professeur Alpha Condé est trop intelligent pour se laisser embarquer dans cette histoire de 3e mandat”. Voilà ce que m’a dit un citoyen guinéen lors de mon dernier séjour à Conakry, fin juillet dernier. Je suis également porté à croire que le Président Condé saura prendre la décision qui préserve la paix et la stabilité dans son pays, augmente les chances de consolidation de la jeune démocratie guinéenne et contribue à consolider la tendance générale en matière de respect de la limitation des mandats en Afrique de l’Ouest.
A Suivre !
Mathias HOUNKPE