L’arrivée au pouvoir du « diaspo » Alpha Condé avait suscité l’espoir d’une transformation positive des valeurs, et d’une société guinéenne juste et équitable pour tous.
Mais l’éclosion d’une bourgeoisie d’Etat clinquante, et surtout l’enracinement d’une gouvernance de l’arrogance élargit de plus en plus le fossé entre élites et populations. Le cercle vicieux de la défiance réciproque ainsi établi pourrait-il être brisé sans heurt ?
Malgré les conditions troubles de son élection en 2010, le profil d’homme neuf du Pr Alpha Condé avait suscité un grand espoir chez les guinéens. L’attente la plus pressante était qu’il mette les guinéens au travail. La longue maladie de son prédécesseur, feu Général Conté, avait eu pour effet pervers de plonger le pays dans l’immobilisme et une corruption endémique. On attendait donc légitimement de lui qu’il imprime à l’administration la rigueur et le respect des normes, tant exigés dans les sociétés occidentales où il avait vécu pendant plus de cinquante ans.
La première déception n’a cependant pas tardé, quand le nouvel élu n’a pas trouvé mieux que de s’entourer d’une bande d’affairistes qui avaient fait main basse sur la Guinée jusqu’à la révolution populaire avortée de 2007. Les mêmes pratiques sont revenues, gangrénant cette fois tout l’appareil étatique, au profil d’une élite davantage préoccupée à s’enrichir qu’à offrir un minimum de bien-être pour les populations.
L’argumentaire présidentiel selon lequel il ne connaissait pas les guinéens a heurté plus d’un, laissant croire que l’héritage commun était aux mains d’une horde d’aventuriers qui se fichent royalement du petit peuple. Cette désillusion n’a fait que grandir avec l’arrivée massive de « diaspos » au service du palais, qui se sont montrés pour la majorité plus rapaces et plus ingénieux à la combine et la carambouille.
A cette bourgeoisie élitaire gouvernementale s’allie désormais une aristocratie d’hommes d’affaires prêts à tout pour saucissonner les fabuleuses ressources du pays. Ensemble, ils forment une optimatie au service d’intérêts étrangers dont ils ne sont en réalité que des coursiers, qui perçoivent des miettes. Ils nous ont transformés, tous ensemble, en une société de consommation qui ne fait plus rien de son existence qu’à attendre l’aide étrangères, ainsi que les produits manufacturés importés dans des bateaux de plus en plus gros.
L’illustration la plus poignante de cette réalité est la qualité de l’éducation nationale, dont l’état de déliquescence avancé fait cyniquement leur affaire. Les programmes mal adaptés produisent des milliers de chômeurs, qui n’ont pour alternative que l’immigration clandestine. Après tout, la vieille Europe ne devrait-elle pas payer un peu des ristournes de son passé colonialiste ?
Mais même là-bas, en occident, il y a deux catégories de guinéens : les enfants de nos manitous, replets et éduqués avec l’argent du contribuable, et les autres, qui tirent le diable par la queue pour nous envoyer des containers de produits recyclés. La formule est si bien rodée que les marmots de nos pillards d’aujourd’hui peuvent rêver d’être les pillards et papa d’autres marmots de demain. Vous pouvez donc oublier toutes vos théories sur la réforme de l’éducation et de l’Etat. Le plan est plutôt de les déformer au maximum.
L’option la plus plausible pour le futur est une autre convulsion sociale, puisque la nature humaine est faite de sorte qu’elle ne se plie pas toujours et à perpétuité. L’expérience d’autres pays africains et de notre histoire récente le prouve. La seule question, c’est quand ?
Il est donc temps, pour les gouvernants de notre pays de se ressaisir et d’entendre la grogne des citoyens. Les injustices et l’exclusion génèrent un sentiment de frustration jusque dans la circulation routière. Il est temps de comprendre que l’histoire est une dynamique, pas une mimique statique. Les institutions doivent être libres de jouer leurs rôles, et la moralisation de la vie publique devenir une priorité.
Mais bon, on ne peut que convenir avec Jorge Luis Borges quand il écrit dans Le Livre de Sable « Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu’on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps. »
Par Mohamed MARA