Une espèce d’arbre est appelée invasive ou envahissante lorsqu’elle occupe spontanément un espace, domine son peuplement et semble s’y éterniser ou s’étendre progressivement. Dans la plus part des cas les espèces invasives sont exotiques au départ mais finissent par dominer les autres espèces endogènes jusqu’à les empêcher de régénérer et/ou même causer leur disparition. Une espèce envahissante peut à elle seule changer la végétation et les conditions du sol de la zone nouvellement colonisée dont les conséquences sont multiples et souvent incommensurables.
Souvent citées comme vecteur du changement climatique ou de la dégradation de la biodiversité, les espèces envahissantes sont maintenant éradiquées à travers le monde afin d’aider à conserver et/ou à réhabiliter la nature.
Dans certaines localités de la sous-préfecture de Hérico (Préfecture de Lélouma) une espèce particulière est reconnue comme envahissante ; c’est, de son nom scientifique, Eugenia sp, appelée en Poular N’Guèlodhi. Un linguiste explique que la terminaison dhi de son nom vernaculaire démontre que l’arbre est d’un petit port végétatif et vit groupé. Les paysans rapportent ne pas savoir d’où elle est venue et reconnaissent que ce phénomène d’envahissement est à la fois nouveau et inquiétant; personne ne semble avoir mené une étude pour attirer l’attention des communautés ou bien des autorités. Eugenia sp fait ses ravages silencieusement dans des zones agricoles reculées et semble se propager à grande vitesse dans cette zone du sud-est de la sous-préfecture.
La caractéristique principale de cette espèce à Hérico est qu’elle occupe les coteaux jouxtant les bas-fonds. Les villages de Hafia, Lori et Madina Birrouwal, rapportent un envahissement à très grande échelle (plus de 100 hectares) ayant débuté il y a environ une dizaine d’année. Sa présence est déjà signalée bien qu’à petite échelle dans certains villages situés en hauteur et on peut dire sans risque de se tromper que l’espèce excelle dans sa colonisation des terres agricoles et marginales.
Eugenia est un jeune arbuste, à petit feuillage, donnant de petites fleurs desquelles sont produites des petites graines qui facilitent sa propagation à une grande distance à travers les vents. Il a été remarqué que cet arbuste profite des jachères, s’installe assez rapidement et colonise tout un domaine au bout de seulement quelques mois. Cette espèce à croissance rapide est nettement tolérante et peut bien vivre sur des sols pauvres et arides, une autre caractéristique qui l’aide à envahir et à dominer les espaces bien avant que ne repoussent les espèces endogènes après la récolte des cultures vivrières.
Son port végétatif et son feuillage étant petits et fragiles, N’Guèlodhi crée des clairières dans les espaces boisés et contraint les animaux sauvages à la migration. Son système racinaire bien développé tisse dans le sol, rendant celui-ci compacte et difficile à retravailler. Ses racines facilitent également une reproduction rapide de l’espèce en donnant des jeunes repousses de toute part empêchant ainsi la régénération d’autres espèces notamment celles endogènes.
Le danger ne se limite pas là et les conséquences sont désastreuses; Eugenia sp expose le sol à plus d’insolation et contribue à l’assécher, facilite l’érosion de la couche arable et cause une perte de fertilité avancée dans les zones colonisées. Par voie de conséquence, cette espèce contribue à renforcer et à accélérer les effets néfastes du changement climatique et à réduire considérablement les rendements agricoles en appauvrissant le sol.
Il n’a été rapporté aucune utilité de cet arbuste, ni fourragère, ni médicinale. Toute fois une paysanne du village de Lori souligne que cette espèce peut être utilisée pour fertiliser les potagers et les tapades (jardins de case). Une autre paysanne appuie en expliquant que l’avantage de fertiliser avec le feuillage de cette espèce est que si vous coupez le jeune plant le matin, le même jour vous pouvez facilement enlever de la main toutes les feuilles et les appliquer tout de suite au champ. Cette remarque nous fait croire que la décomposition des feuilles pourrait être également rapide. Si cette thèse se confirmait, alors il n’y aurait plus qu’à utiliser précautionneusement Eugenia dans la fertilisation et la restauration des sols qu’elle-même a dégradés pour contrôler sa propagation.
L’envahissement par Eugenia semble « pourchasser » toutes les autres espèces endogènes et réduire la présence et la densité des forêts. Ce qui semble affecter aussi les régimes hydriques des rivières et marigots aux alentours des zones colonisées. Des experts expliquent que ces rôles pourraient contribuer directement à accélérer la dégradation de la nature et à l’installation de la sècheresse dans les localités.
Si rien n’est fait d’ici 5 ou 10 ans, Eugenia sp risque de franchir la mince dorsale qui traverse la sous-préfecture de Hérico et d’atteindre son flanc ouest menant directement aux préfectures de Gaoual et Télimélé. Ce flanc ouest est un ensemble de zones dépressionnaires fait d’espaces herbacés, de hautes falaises et des bas-fonds propices qui sont souvent animés d’un vent sec et violant capable de disséminer très rapidement les semences de l’espèce envahissante si elle y arrivait.
Comment lutter contre cette espèce envahissante ?
La meilleure des interventions à entreprendre est de tenter de neutraliser l’espèce avant une plus grande expansion, ce qui n’est pas chose aisée sachant que ni sa vitesse de propagation ni sa direction ne sont connues et que sa semence est difficile à détecter. Aucune initiative ne semble se préoccuper des espèces envahissantes dans la région, mais rien n’empêche de croire que, si elles sont appuyées, les communautés de Hérico peuvent contrôler et/ou arrêter l’envahissement d’Eugenia.
Pour réhabiliter les espaces dégradés, il est recommandé d’utiliser une méthode appelée Régénération Naturelle Assistée (RNA). Cette méthode dont la recherche et la promotion sont faites par l’ICRAF (le centre mondial de l’agroforesterie, basé au Kenya) encourage la préservation des espèces endogènes, rares et/ou menacées par leur domestication sur le champ et leur entretien en période difficile.
Les communautés locales ayant pu comprendre le cycle végétatif de l’espèce pourraient mieux contribuer à la préservation de leurs terres et anéantir l’envahissement de N’Guèlodhi en brisant son cycle de reproduction par la coupe complète de l’espèce avant sa floraison et/ou la taille des jeunes et nouvelles branches et tiges dès que celles-ci émergeraient de l’arbuste.
Les communautés de Hérico pourraient appliquer ces approches simultanément et travailler ensemble non seulement pour identifier et reconnaitre la menace d’abord mais aussi pour procéder à des interventions coordonnées et intensives au risque de voir persister l’espèce, s’installer la sècheresse, diminuer les terres cultivables, augmenter l’insécurité alimentaire, et s’intensifier l’envahissement d’autres terres. Il est recommandable également de procéder à un reboisement massif des terres et forêts en utilisant des espèces à croissance rapide comme le Gmelina, les Acacia, les Leucena, etc. Ce reboisement devrait être soutenu par 1) la création et l’appui à des comités villageois de veille à l’environnement mais aussi 2) des campagnes d’information visant à éveiller les consciences sur les risques liés à l’invasion, et 3) la réhabilitation de la nature tout en conservant la biodiversité locale. En attendant, les paysans des villages envahis, continuent à cohabiter avec l’espèce invasive et subissent tristement ses méfaits malheureusement croissants et surement dévastateurs.
Abdoul K. Diallo, agronome