Sur le continent africain, le règne des vieux sur les jeunes. Depuis trente-cinq ans au pouvoir, le président ougandais Yoweri Museveni a été réélu samedi, malgré la jeunesse de l’électorat. Sur le continent, l’âge avancé des présidents montre le recul de la démocratie.
Sans surprise, le président ougandais Yoweri Museveni a été réélu samedi pour un sixième mandat. S’il arrive au terme de ce nouveau bail à la tête du pays, en 2026, le président aura 81 ans. Il aura alors passé près de la moitié de son existence au palais présidentiel de Kampala, lui l’ancien guérillero qui dénonçait jadis les dirigeants africains s’éternisant au pouvoir.
Les chiffres de la Commission électorale donnent une confortable avance au président (58% des voix) sur son adversaire Bobi Wine (38%), un ancien chanteur reggae de 38 ans, assiégé chez lui après avoir dénoncé les «fraudes». Mais le candidat, très actif sur les réseaux sociaux, est difficilement audible, car le réseau internet coupé par le pouvoir à la veille du scrutin n’est pas encore totalement rétabli.
Il est frappant de constater que moins d’un quart des Ougandais sont allés voter, toujours selon les chiffres officiels. Une désaffection qui s’explique en partie par l’incroyable jeunesse du pays. Trois quarts des 44 millions d’Ougandais ont moins de 30 ans et plus de la moitié de la population n’a pas l’âge de voter. Après avoir fait sauter la limite du nombre de mandats, le président Museveni a abrogé en 2017 la limite d’âge pour se présenter à la présidentielle, auparavant fixée à 75 ans.
La désillusion des jeunes
La fracture générationnelle entre la jeunesse et une élite politique vieillissante, les plus de 65 ans représentant 2% de la population, est béante. Lors de ce scrutin, le président a fait face à un challenger très populaire auprès des jeunes. Le député Bobi Wine, dont c’était la première campagne présidentielle, aura réussi à inquiéter le pouvoir, comme en témoigne la répression qui s’est abattu sur le candidat et ses partisans. Des dizaines de personnes ont été tuées, une triste première durant l’ère Museveni.
«La jeunesse de l’électorat aurait pu jouer en faveur de Bobi Wine, mais cela n’a pas été le cas», tempère Sandrine Perrot, chercheuse au Centre de recherche international à Bordeaux. Cette spécialiste de l’Ouganda signale d’abord les «doutes» sur la crédibilité du scrutin, qui s’est tenu en l’absence d’observateurs internationaux.
«La majorité des Ougandais ont intégré le fait que l’alternance n’aura pas lieu grâce à des élections, continue Sandrine Perrot. L’armée reste alignée derrière le président. Museveni représente une certaine prévisibilité malgré la corruption, alors que le programme de Bobi Wine était très incertain. Et il est toujours plus facile de faire des affaires ou carrière lorsqu’on est du côté du pouvoir plutôt que de l’opposition.»
Malgré la crispation sécuritaire du régime, le système mis en place par le vieux président tient encore. Un constat qui n’est pas propre à l’Ouganda. La fracture générationnelle est apparue dans plusieurs récents scrutins africains. En Côte d’Ivoire, le président sortant Alassane Ouattara, 78 ans, l’a emporté lors de l’élection d’octobre dernier, alors qu’il avait juré de ne pas se présenter pour un troisième mandat. Quelques semaines auparavant, en Guinée, Alpha Condé (82 ans) avait lui aussi changé la Constitution pour rempiler. En 2021, d’autres scrutins joués d’avance sont prévus au Congo-Brazzaville ou au Tchad. Là non plus, l’alternance n’est pas au programme. Certaines élections s’annoncent toutefois plus ouvertes, en Ethiopie ou en Gambie.
Dirigeants plus vieux qu’ailleurs
Poussée par un inamovible trio – le Camerounais Paul Biya (87 ans, au pouvoir depuis trente-huit ans), Teodoro Obiang (Guinée équatoriale, 78 ans, quarante et un ans au pouvoir) et Yoweri Museveni –, la moyenne d’âge des présidents sur le continent africain, le plus jeune du monde avec la moitié de la population âgée de moins de 20 ans, est de 68 ans, au-dessus de la moyenne mondiale, elle aussi en augmentation. A contrario, les gouvernants de la vieille Europe ont en moyenne moins de 60 ans.
Cet écart de part et d’autre de la Méditerranée est dû au fait qu’une majorité de pays africains, malgré la tenue d’élections, sont loin d’être démocratiques. L’indice de la démocratie, établi par le magazine The Economist, considérait en 2019 qu’il existait moins de dix démocraties en Afrique. Selon ces critères très stricts, le reste des pays étant des régimes hybrides ou autoritaires. Les choses ne se sont pas améliorées depuis lors, alors que les démocraties sont aussi secouées en Occident, à commencer par la plus puissante d’entre elles, les Etats-Unis, alors qu’un président de 78 ans s’apprête à entrer en fonction.
Par Letemps.ch